L’Infinie Comédie, David Foster Wallace (2ème critique)
L’Infinie Comédie, David Foster Wallace, L’Olivier, coll. Replay, novembre 2017, trad. anglais (USA) Francis Kerline, 1487 pages, 19,90 €
Ecrivain(s): David Foster Wallace Edition: L'Olivier (Seuil)
Si vous n’avez pas peur d’hiberner pendant quelques mois, de comprendre le sens exact de l’adjectif « infini » et de lire constamment avec un dictionnaire à proximité, faites l’expérience « replay » de l’Infinie Comédie, qui sort en poche (mais vous ne ferez pas rentrer ses 1487 pages dans votre poche). Vous ne le regretterez pas. La lecture d’un tel mastodonte peut s’apparenter à du masochisme. Elle coupe du monde et en fait découvrir un autre. On lit David Foster Wallace comme on regarde la saison 3 de Twin Peaks. Il faut apprécier perdre son temps en tournant des pages incompréhensibles, se laisser porter par l’enchaînement des points-de-vue : ne pas chercher à tout prix le sens, directement. Qui n’est pas spécialiste de chimie moléculaire ou de grammaire prédictive va certes se trouver perdu à certains moments.
L’essentiel est ailleurs : David Foster Wallace a créé un monde. Un monde contenu en 1319 pages auxquelles s’agrègent 158 pages de notes. C’est la première fois que j’ai besoin de deux marque-pages. Ce monde est la conjonction de plusieurs univers en apparence inconciliables. Celui d’abord d’une académie de tennis dont l’ambition est de préparer les jeunes vers le Show et celui ensuite d’un centre de désintoxication qui a pour objectif de réinsérer alcooliques et toxicomanes dans la vie. L’Enfield Tennis Academy se situe non loin de l’Ennet House dans les collines d’Enfield. Mais, cette intrigue se double d’une dimension politique : le gouvernement de l’ONAN (Organisation des Nations Nord-Américaines, en français), qui s’étend du Canada au Mexique en passant par les Etats-Unis, est à la recherche d’un divertissement létal capable d’exterminer toute la population. Et il se doit de la récupérer avant ses détracteurs, les séparatistes québécois qui veulent l’utiliser pour gagner leur indépendance.
Le roman nous plonge au cœur d’un mystère : celui de cette vidéo qui fascine tellement ses téléspectateurs qu’ils en viennent à ne plus s’alimenter. Elle s’intitule L’Infinie Comédie et a été réalisée par James O. Incandenza, un personnage haut en couleurs et à multiples facettes, qui a créé l’académie de tennis puis s’est démarqué en réalisant des films « d’après-garde » et a fini par glisser sa tête dans un micro-ondes en marche. Ingénieuse mise en abyme de la part de l’écrivain qui nous suggère que la lecture de son livre est nocive parce qu’il doit être consommé sans jamais s’arrêter.
« Le fait que ce fait me consternât me consterna ». Et en effet, on est par moments consterné en lisant L’Infinie Comédie. On est consterné par la manie de la note pseudo-universitaire de l’écrivain qui rajoute des notes au carré et qui répertorie la liste de tous les films réalisés par Incandenza. On est consterné aussi par son goût maladif pour les mots rares. On est consterné, par moments, enfin par les circonvolutions de son récit qui s’éloigne de plus en plus de son nœud initial (si tant est qu’il en existe un). L’ambition de son génial auteur était peut-être de nous faire passer par tous les états possibles et il semble avoir réussi. Ce sont en fait les mêmes choses qui nous font à la fois détester et aimer cette œuvre inclassable.
En vrac et pour ne pas m’épancher plus longtemps, je vous conseille de vous lancer dans l’expérience de L’Infinie Comédie pour au moins deux raisons :
– les descriptions, très belles, du soleil levant dans le désert de Tucson lors de la longue conversation entre un militant en fauteuil roulant et un agent du gouvernement déguisé en femme ;
– l’analyse détaillée, précise et complète du mécanisme de dépendance (à travers les exemples de l’alcoolisme, de la toxicomanie, de la dépendance affective ou à la télévision).
Grégoire Meschia
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