L’inconsolable et autres impromptus, André Comte-Sponville
L’inconsolable et autres impromptus, mars 2018, 304 pages, 19 €
Ecrivain(s): André Comte-Sponville Edition: PUF
André Comte-Sponville est un philosophe à part dans le paysage intellectuel français. Il a su concilier l’exigence d’une véritable réflexion philosophique autour des problématiques qui lui sont chères et qui sont celles qui nourrissent la pensée depuis l’antiquité (le bonheur, la mort, l’amour, la sagesse, la foi et l’athéisme…) et la clarté, la pureté d’une expression qui la rendent non seulement accessible au plus grand nombre, mais surtout savoureuse et nourrissante. En fait, le travail du philosophe constitue une implacable illustration de ce que les mots saveurs et savoirs ont la même étymologie… Dans un entretien avec Sébastien Charles, André Comte-Sponville déclarait à ce propos avoir « voulu renouer avec cette tradition qui me paraît essentielle à la philosophie et de très loin dominante, qui veut que la philosophie s’adresse de droit à tout le monde et de fait au grand public cultivé » (1). En ce sens, il se situe dans la tradition de la philosophie française et de ses grandes figures telles que Montaigne, Pascal ou, plus proche de nous, Alain.
Avec L’inconsolable et autres impromptus, il renoue avec un genre, sinon une forme qu’il avait déjà investie en 1998 (2)et qu’il situe dans la lignée d’un de ses maîtres : « Un impromptu est un essai, au sens montanien du terme, donc le contraire d’un traité », déclare-t-il dans son avant-propos. Les impromptus se positionnent par ailleurs à la frontière de la littérature et de la philosophie, « entre pensée et mélancolie » et s’écrivent sans préparation, souhaitant échapper à la (parfois) trop lourde érudition que contiennent les traités, érudition qui obscurcit la pensée plus qu’elle ne l’éclaire. Ces impromptus donnent ainsi à lire une pensée en train de s’élaborer, avec ce que cela comporte de subjectivité (le « je » se glisse très régulièrement dans le fil de l’argumentation), de fragilité et d’incertitude.
L’ensemble de ces textes nous invite à cheminer avec l’auteur comme l’on avance avec Montaigne, « à saut et à gambade ». « L’inconsolable », le premier des impromptus, interroge la consolation qui « n’oublie ni n’annule le malheur ». Il est dans la nature de l’homme de vouloir être consolé mais face au tragique de sa condition, il ne « saurait jamais l’être assez ni définitivement » nous dit l’auteur. Jules Laforgue, auteur des Complaintesà qui André Comte-Sponville consacre un autre de ses impromptus, le savait bien : le désespoir, la mélancolie et l’ennui hantent l’œuvre du poète (« Comme nous sommes seuls ! Comme la vie est triste » (3) qui ne se consolera jamais des épreuves de sa courte vie.
On retient aussi les très belles pages consacrées à l’ennui à l’école (ennui que certains tentent de supprimer quand il faudrait apprendre à l’accepter), celles pertinentes (mais peut-être encore timides) sur les droits des animaux, celles émouvantes et personnelles qui évoquent « L’autre maître », Louis Althusser, « maître de la douleur, de l’angoisse, du désespoir ».
Il est heureux de penser avec André Comte-Sponville, de suivre le fil d’une réflexion toujours juste, toujours limpide, de la voir s’élaborer sous nos yeux. Ces impromptus sont de la philosophie à l’état pur, dans ce que la philosophie a de plus riche à nous offrir : aucune certitude, beaucoup d’humilité, ce qu’il faut de sagesse : « Il n’est pas vrai que la philosophie ne serve à rien, ni qu’elle puisse tout » note-t-il à raison. On comprendra, avec André Comte-Sponville, qu’elle peut suffisamment pour être nécessaire.
Arnaud Genon
(1) Sébastien Charles, « André Comte-Sponville ou l’art de l’entre-deux », Horizons philosophiques, 8(2), 1-40, 1998.
(2) André Comte-Sponville, Impromptus, Presses Universitaires de France, coll. Perspectives critiques, 1998.
(3) Jules Laforgue, « Triste, triste », Les Complaintes suivies de Premiers poèmes, Gallimard, 1979, p.271.
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