L’idée maçonnique, Henri Tort-Nouguès
L’idée maçonnique, Dervy éditions, Coll. Petite Bibliothèque de la Franc-Maçonnerie, janvier 2014, 264 pages, 13 €
Ecrivain(s): Henri Tort-Nouguès
Essai sur une Philosophie de la Franc-Maçonnerie : ce sous-titre bien apparent sur la couverture donne une idée d’emblée précise du dessein de l’auteur, Henri Tort-Nouguès, passé Grand Maître de la Grande Loge de France.
Cet ouvrage en effet n’est pas un de ces manuels publiés à l’usage exclusif des initiés parmi les dizaines du genre, ayant pour finalité leur instruction complémentaire sur les symboles, sur les rituels, sur la tradition maçonnique.
Cet ouvrage n’est pas non plus une de ces compilations plus ou moins répétitives de descriptions plus ou moins pertinentes prétendument destinées aux non-initiés à seule fin de leur offrir une approche plus ou moins dévoilée, plus ou moins vulgarisée des valeurs, des idéaux, des rituels, de la place des francs-maçons dans la société.
Cet ouvrage n’est pas un panégyrique dithyrambique des grands Francs-Maçons qui ont marqué l’Histoire politique, sociale, médicale, scientifique durant ces trois ou quatre derniers siècles.
Cet ouvrage n’a donc pas non plus pour objectif de tenter d’inciter des profanes à frapper à la porte des ateliers pour en demander l’entrée.
Non ! Cet ouvrage est d’abord l’œuvre d’un historien qui met en relation érudite l’émergence et le développement de la franc-maçonnerie et de ses obédiences originelles avec les grands bouleversements religieux de l’Europe postmédiévale et post-Renaissance, de cette Europe encore chrétienne mais déchirée depuis le milieu du XVIe siècle par les schismes et les guerres de religion dont la violence et l’absurdité favorisent l’émergence de l’agnosticisme et de la libre pensée, de cette Europe de la fin du XVIIe et du début du XVIIIe siècles où « se développent, s’amplifient l’idée de tolérance, l’idée de la liberté de conscience ».
Cet ouvrage est aussi l’expression de la pensée d’un philosophe qui analyse les textes fondateurs de la Franc-Maçonnerie (en particulier le Regius, le manuscrit Cook et les Constitutions d’Anderson), d’un exégète qui met en lumière leur étroite correspondance avec les valeurs fondamentales des grandes religions et avec les écrits des philosophes des XVIIe et XVIIIe siècles (Locke, Spinoza, Bayle, Malebranche, Leibniz, Hobbes, Bossuet, etc.), et qui y puise sa conviction personnelle de l’indissociabilité entre l’initiation franc-maçonne et la croyance en un dieu créateur que, par esprit d’universalité et par nécessité de dépasser les querelles inter-religieuses et leurs tendances irréductiblement bellicistes, tout Franc-Maçon, quelle que soit par ailleurs sa confession, est appelé à invoquer sous l’appellation de Grand Architecte de l’Univers.
« Il y a un Etre transcendant, et les hommes du XVIIe siècle le nomment Dieu […]. Le maçon ne saurait être athée […], c’est-à-dire qu’il ne peut nier Dieu, c’est-à-dire qu’il ne saurait nier l’idée d’une Transcendance, celle d’un Etre ou d’un principe de transcendance ».
C’est également des textes fondateurs que l’auteur, philosophe citoyen, tire l’obligation pour tout franc-maçon de respecter le contrat social qui le lie à sa cité, à son pays, et qui lui fait un devoir de respecter les droits historiques des autres « nations ».
« Un maçon est un paisible sujet à l’égard des pouvoirs civils en quelque lieu qu’il réside ou qu’il travaille, et ne doit jamais être mêlé aux complots et conspirations contre la paix et le bien-être de la nation, ni manquer à ses obligations envers les magistrats… » (Article 2 des Constitutions)
Cette recherche des correspondances entre les sources de la franc-maçonnerie et les grands courants philosophiques contemporains de la naissance des obédiences et des loges constitue la première partie de l’essai de Tort-Nouguès et sert de base pour l’auteur, dans une seconde partie, à une réflexion savante et riche en références et correspondances littéraires et philosophiques (Aristophane, Socrate, Platon, Descartes, Alquié, Alain, Eliade, Stendhal, Goethe, Hugo, Nerval, Nodier, Baudelaire, Guénon, etc.) sur les significations profondes, universelles, du cheminement initiatique, de la pensée symbolique, des rites maçonniques, de la vie des Loges.
« L’initiation maçonnique exprime une expérience humaine, comme traduisent une expérience humaine la poésie, la littérature, l’art, la philosophie, et on peut les éclairer l’une par l’autre si l’on veut comprendre la nature de l’homme et de sa destinée… »
La dernière partie de cet ouvrage remarquablement dense recadre la Franc-Maçonnerie dans la modernité, dans sa relation avec « les Eglises » au sens large, dans son rapport au politique, dans le rôle qui peut être le sien dans la recherche constante de l’amélioration de l’homme et de la société, en somme dans la philosophie qui doit encore guider le maçon d’aujourd’hui vers l’idéal défini par les premiers maçons.
« La vérité ou la recherche de la vérité, la liberté ou la conquête de la liberté, le travail, la fraternité sont les idées forces autour desquelles s’organise le projet maçonnique. Et si aujourd’hui notre monde nous semble en plein désarroi moral et spirituel, c’est qu’il a perdu la vocation de la vérité et du travail, le sens de la liberté et de la fraternité… »
A méditer…
Patryck Froissart
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