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L’humanité en péril, Virons de bord, toute !, Fred Vargas (par Mélanie Talcott)

Ecrit par Mélanie Talcott le 05.06.19 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

L’humanité en péril, Virons de bord, toute !, Fred Vargas, Flammarion, mai 2019, 256 pages, 15 €

L’humanité en péril, Virons de bord, toute !, Fred Vargas (par Mélanie Talcott)

Fred Vargas vient de publier un livre à vocation pédagogique, d’une lecture assez fastidieuse, malgré le ton, un tantinet « maternaliste » qui se veut léger, voire rigolard – style « on est entre potes » – sous le contrôle d’un pénible CEI, son Censeur d’écriture intégré. Son titre accrocheur, L’humanité en péril, Virons de bord, toute !, nous dit son éditeur, « explore l’avenir de la planète et du monde vivant », et souhaite mettre fin à la « désinformation dont nous sommes victimes et enrayer le processus actuel ».

Tout le gratin intellectuel ou presque s’est empressé d’applaudir ce foisonnement d’informations et d’arguments, parfois confus qui n’apporte souvent rien de nouveau. Un cumul, témoin à charge de ce que son auteur qualifie de « crime épouvantable », un crime qui fait écho en elle à « une sorte de nécessité implacable ». Il faut réveiller les inconscients, les naïfs, voire les demeurés mentaux, que nous sommes. De la fonte des glaces aux anchois et aux sardines transformées en huile, elle entraîne le lecteur dans son punching ball verbal, le faisant tour à tour acteur et spectateur de ce drame planétaire, tout en l’implorant d’être « héroïque jusqu’au bout », d’autant plus qu’elle est parfaitement consciente combien « c’est emmerdant à lire » !

Louable et noble entreprise vertigineuse (?), mais qui, je le crains, n’expulsera pas « les Gens », comme elle nous appelle, de leurs charentaises. Pour expliciter ce j’men foutisme généralisé au collectif comme à l’individuel, l’auteur nous assène que la faute en revient à la désinformation. Plus ou moins volontaire – Vargas est prudente – cette boulette se doit à nos dirigeants, « Eux », plus soucieux de faire du capitalisme une religion mondiale et d’engrosser leurs bas de laine personnels d’autocrates que de sauver la Terre sur laquelle, comme tout un chacun, ils reposeront un jour pour l’éternité, nous autres – les Gens – étant les innocentes victimes de cette bévue. « On n’a pas de réaction parce qu’on n’a pas été informé », dit-elle dans une interview donnée à Francetvinfo. Et d’ajouter : « Ce sont nos élus qui sont responsables de nos vies, de nos destins : c’est bien là le problème », comme si l’esprit dûment perfusé par le devoir plus que le droit de savoir, on serait tous prêts à la sauver, la Planète !

Pas informés « les Gens », vraiment ? A l’époque d’Internet, dire que celui qui cherche, trouve, est une lapalissade. Il semble plutôt que la plupart, ceux d’en haut comme ceux d’en bas, n’en a rien à cirer du devenir de notre terre… Après moi, le déluge ! Alzheimer semble la maladie du siècle. « J’y pense le temps d’une actualité, d’une pétition ou d’une manif qui laisse derrière elle canettes, papiers, bouteilles et autres laborieux déchets… et puis j’oublie ». Et cela depuis des centaines de décennies !

Pas informée l’humanité ? Si le terme « écologie » fut inventé en 1866 par Ernst Haeckel (1834-1919), zoologiste allemand, la conscience écologique, elle, date de la fin du XIX° siècle. De nombreux scientifiques s’en firent les porte-parole. Écologiebiosphère ou biocénose… sont autant de termes nés au dix-neuvième et qui appartiennent toujours au vocabulaire lexical de l’écologie. Et avant cela, il y eut bien d’autres mises en garde, appelant à la protection de la planète.

Ainsi, à partir du XVI° siècle, les empires de l’époque, pratiquement les mêmes grands pollueurs capitalistes qu’aujourd’hui, auxquels il faut ajouter de nouvelles puissances économiques telles la Chine et l’Inde, entreprirent leurs voyages de conquêtes territoriale et économique. Pendant que d’un côté, les naturalistes engrangeaient leurs observations pointues, de l’autre, les nations colonisatrices pillaient joyeusement les terres conquises, provoquant les premiers désastres écologiques. Surexploitation des ressources naturelles, déforestation, extension des terrains pour l’agriculture, exploitation de mines fournissant métaux, précieux ou non, dont l’extraction réjouit encore aujourd’hui nos téléphones portables, nos ordis, nos bagnoles, nos avions ou nos éoliennes, tandis qu’elle tue ceux qui y travaillent contre une misère, extermination des espèces pour leur chair, leur peau ou leurs plumes… Comme actuellement, les scientifiques de ces temps pas si lointains alertèrent, avec plus ou moins de succès, gouvernants et opinion publique des risques du changement climatique dû, entre autres, à la déforestation.

Un exemple : en 1769, le désastre connaît une telle envergure sur l’île Maurice – cadre du fameux roman Paul et Virginie de Bernardin de Saint Pierre – qu’un décret impose aux propriétaires de maintenir 25% de leurs terres boisées, notamment sur les flancs des montagnes, afin de limiter l’érosion des sols. Dans la même veine, une loi (1791) protège les forêts situées à proximité d’un cours d’eau et règlemente le rejet par les entreprises exploitantes des substances polluantes liées à l’indigo et à la canne à sucre. En 1798, une autre loi limite la pêche. En 1791, concernant cette fois-ci une autre île des Antilles, est également voté le King Forest Hill afin de lutter contre les conséquences climatiques de l’agriculture insulaire intensive et de protéger la forêt… qui régule la pluie.

Ces quelques exemples suffisent à montrer que d’une part, le saccage de la planète est depuis des lustres le sport favori des êtres humains, qu’ils soient « les Gens » ou « Eux », et d’autre part, que l’on a toujours essayé de remédier aux maux concomitants aux activités humaines par un éventail de lois et de mesures concrètes, à l’application plus ou moins aléatoire.

Pas informée l’humanité ? Sautons quelques siècles ! Suite aux guerres modernes, entre génocides, bombes atomiques et Vietnam vs napalm et herbicides de synthèse, les uns et les autres accompagnés chacun d’une large diffusion médiatique d’images terribles, la conscience écologique a gagné en force. Conjointement à la contestation du modèle mécanisé productiviste (1958) qui nourrit toujours la masse des « Gens » et des élites (Eux) qui l’exploitait déjà au nom du fameux pouvoir d’achat, les associations de protection et défense de la Nature ont poussé comme des champignons.

En France, la fin des années 50 et le début des années 60 a vu la genèse de la défense des réserves naturelles, une redevance sur la pollution de l’eau, la création des parcs nationaux, de la Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action régionale (jusqu’en 2014), mesures qui se concluront en 1971 par l’instauration d’un ministère de la protection de la nature et de l’environnement, remplacé en 2002 par le ministère de l’Écologie et du Développement durable.

Comme d’hab dans le même temps, le déséquilibre ponctuel assurant l’équilibre de l’ensemble, la première bombe atomique française fit ses preuves dans le Sahara algérien. Elle fut cyniquement baptisée la Gerboise bleue, nom vernaculaire (exceptée la couleur) d’un rongeur – je suppose en hommage à celui du désert dont la particularité est de faire des bonds tel un kangourou miniature. Parallèlement, se multiplièrent les projets de centrales électronucléaires. Ces dernières suscitèrent la naissance du Mouvement contre l’Armement Atomique, à l’initiative du journaliste, militant politique et pacifiste, Claude Bourdet, du biologiste Jean Rostand, du biologiste explorateur Théodore Monod, de l’agronome René Dumont qui ne remportera que 1,32% des voix des « Gens » aux élections présidentielles de 1974. Bref… Autant d’écologistes de la première heure qui faisaient sourire ou agaçaient le politique et à qui « les Gens » prêtaient une oreille distraite.

Après Mai 68, émergea l’écologie politique, avec en exergue des noms passés à la trappe des oubliés : Ivan Illich (Énergie et équité, 1973), André Gorz (Écologie et liberté, 1976), Jean Dorst (Avant que Nature meure, 1965) ou encore, Rachel Carson (Le printemps silencieux, 1962).

Pas informés, les « Gens » ? Des Amis de la Terre à la revue The Ecologist d’Edward Goldsmith, en passant par Greenpeace, du drame du Torrey Canyon (1967) à celui de l’Amoco Cadiz (1978) ou de l’Erika (1999) et aux galettes de pétrole échouées sur les côtes bretonnes, du choc pétrolier (1973) qui voit s’intensifier dans les pays riches les programmes nucléaires, contrecarrés par une pléthore de manifestations durement réprimées, à la poursuite des essais nucléaires et de la course diarrhéique et pérenne aux armements aux quatre coins du monde, du réacteur n°4 de Tchernobyl (avril 1986) au désastre de Fukushima (2011), du massacre des phoques ou des thons aux sécheresses répétitives et aux famines, de la chasse à la baleine à l’extermination de la faune et de la flore marines, des transgéniques à la mort massive des abeilles et des insectes, des catastrophes climatiques dites naturelles à celles environnementales provoquées par la stupidité humaine (Seveso en Italie, Bhopal en Inde, Minamata au Japon, Baia Mare en Roumanie, pollution du Love Canal et Exxon-Valdez aux USA, puits de pétrole au Koweït, entre autres), sans oublier la pollution planétaire, sur terre, dans l’air, en mer… Partout ! – celle de l’air étant la seconde cause de mortalité (8,8 millions, plus que le diabète, le sida, la tuberculose et les accidents de la route cumulés) dans le monde après la faim (9,1 millions, 2015), de la malbouffe – Nutella shooté à l’huile de palme, McDo XX, crèmes chimiquement glaçantes plutôt que glacées aux produits transformés et aux plats préparés qui n’ont de naturel que l’excitation papillaire qu’ils provoquent, talonnée par le fantasme de la « maigritude »… sans parler des maladies professionnelles (amiante, cancers dus aux produits phytosanitaires, etc.) et dites de civilisation (dont l’obésité et le diabète, ou encore les affections neurologiques, etc.).

Pas informés, les « gens » ? Des multiples conférences et réunions internationales, entre COP25 et G Machin aux résultats nullissimes, au principe de précaution, des partis politiques écolo tombés en capilotade les uns après les autres avec des scores électoraux minimalistes jusqu’à l’écologie actuelle, devenue marketing politique, il est patent que la seule écologie qui scotche la grande majorité des « Gens » totalement désillusionnée est celle du consumérisme à tout crin et du laisser-faire contre-productif. Après tout, c’est toujours la faute de l’autre !

« Ce sont nos élus qui sont responsables de nos vies, de nos destins : c’est bien là le problème », affirme ainsi péremptoire Fred Vargas.

Ben non, Lucette… Si du bien-être de tous dépend le bien-être de chacun, nous n’en sommes pas moins responsables de ce que nous faisons chacun de nos vies et de l’éducation que nous donnons à nos mômes. Si l’Homme comprenait enfin que sa liberté est dans l’obéissance aux Lois de la Nature, s’il comprenait que servir, c’est obéir, et en premier lieu à l’écosystème auquel il appartient, et s’il se refusait à lui imposer sa destruction construite, il ne serait pas au bord de la panade ! La première écologie commence d’abord et avant tout par soi-même.

Le problème est que l’on refuse de s’impliquer et que l’on procrastine le changement. Jusqu’à ce que l’on n’ait plus le choix de rien.

Le réchauffement climatique ? La motivation de notre prise de conscience opportuniste est simple : on frémit que le soleil nous tombe un jour sur la tête et nous achève. La destruction de l’environnement est le prétexte, savamment manipulé, pour transformer nos dérives individuelles en une peur universelle de ce néant qui, Loi naturelle, défait les corps et parfois dégénère les esprits. Les « Gens », nous en restons paralysés d’impuissance devant tous ces « révolutionnaires » écolo opportunistes d’aujourd’hui à l’allure VIP, que nous votons.

Sauver la planète rapporte du pouvoir et la catastrophe mise en mots se tarifie. Les pionniers écolo qui hier prêchaient dans le désert et se faisaient rigoler au nez, quand non jeter en prison, pour dénoncer ce qu’aujourd’hui répètent les Croisés recyclables de l’État, doivent s’en étouffer de colère. Comme le disait Elisée Reclus, écologiste avant l’écologie : « On pleurera les poissons, si l’on n’y prend garde ; les glaciers, les torrents, les océans, les nuages seront souillés… Il faut défendre la nature, berceau et oxygène de l’homme ».

En attendant, on en débat et on en re-débat en pleurnichant sur les ours polaires et les pandas, tout en zappant soigneusement les êtres humains mutants que nous sommes devenus. Peut-être que la seule voie qui reste à l’humanité pour comprendre ce qu’elle n’a toujours pas compris, est de mener le monde jusqu’à sa perte.

Ah mais Bon Dieu, c’est bien sûr… il faudrait l’en informer !

 

Mélanie Talcott

 


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A propos du rédacteur

Mélanie Talcott

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Maquettiste free-lance (livre papier et numérique, livre clé en main)

Écrivain et auteur de : Les Microbes de Dieu (2011), Alzheimer... Même toi, on t'oubliera (2012)

Chronique à l'Ombre du Regard (2013), Ami de l'autre rive (2014), Goodbye Gandhi (2015 -

prix du jury 2016 du polar auto-édité), La Démocratie est un sucre qui se dissout dans le pétrole (2016)