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L’homme noir dans l’imaginaire musulman, par Amin Zaoui

Ecrit par Amin Zaoui le 20.09.16 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

L’homme noir dans l’imaginaire musulman, par Amin Zaoui

 

Dans l’imaginaire musulman, le Noir est équivalent à l’esclave.

Les musulmans, à travers leur Histoire, étaient et ils le sont toujours, proie à la culture ségrégationniste et chauvine envers les Noirs ! Ce sentiment d’esclavagisme trouve ses racines chez les califes, les fkihs, les poètes et les petites gens… Cette culture est toujours vivante, transmise de génération en génération. Les chroniqueurs et les historiens musulmans, toutes sensibilités politiques ou religieuses confondues, ont rapporté des faits de califes et rois musulmans marqués par une conduite honteuse envers leurs sujets noirs africains. Cette gent humaine se vendait et s’achetait comme du bétail partout dans la terre d’islam (je n’évoque pas ici l’Histoire occidentale ou chrétienne, c’est une autre histoire envers la traite noire).

Dans la langue arabe, on trouve un riche lexique qui désigne les différentes catégories d’esclaves noirs : abd, mamlouk, khadim, ama, jariya, raqiq, ghoulam, zinj… Cette culture trouve sa place dans l’imaginaire populaire comme dans les réflexions d’élites musulmanes.

a) Une histoire vraie : ma voisine n’a jamais caché son sentiment empreint de la haine des Noirs. Elle avait une fille qui avait dépassé largement l’âge du mariage. Toute fille qui franchit cet âge, aux yeux de la société traditionnelle, est considérée comme vieille fille (bayra). La présence de cette dernière dans l’espace paternel était devenue l’incarnation de la honte. La malédiction. Ma voisine disait à qui voulait l’entendre qu’elle était prête à la faire marier à « un chien » ou même à « un mur » si ce dernier demandait sa main ! Un beau jour, un groupe d’hommes frappe à sa porte. Après avoir siroté un bon berrade de thé à la menthe avec son mari, le plus âgé des présents s’adresse au père de la fille en termes suivants : « Selon la charia d’Allah et de son Prophète QLSSSL, je demande la main de votre fille pour notre fils ». Le mari, sans demander l’avis de sa femme, accepta cette demande. Cette dernière était toute contente de voir sa fille enfin sur le point de partir chez un époux. Une semaine après, la maman, accompagnée de son fils et quelques autres membres de la famille frappent une deuxième fois à la porte de cette voisine afin de finaliser les détails du mariage. L’été est à nos portes. Mais voici ma voisine qui découvre que son futur beau-fils est un jeune Black. Stupéfiée, elle n’a pas pu supporter cette situation, elle a crié haut et fort devant l’assistance : « J’égorgerai cette fille-malédiction sur mes genoux, de mes propres mains s’il le faut, et je ne la donnerai pas en épouse à un Noir, à un esclave ». Les invités se sont retirés dans le silence, l’humiliation et l’abaissement.

b) Ibn Khaldoun (1332-1406), l’historien, le savant, l’érudit, lui aussi n’a pas échappé à cette culture musulmane dominante qui rabaisse les Noirs. Il écrit dans la Moqaddima que « les seuls peuples à accepter l’esclavage sont les nègres en raison d’un degré inférieur d’humanité, leur place étant plus proche du stade animal », et que plus au Sud, il n’y a plus de civilisation digne d’intérêt. « On n’y trouve que les hommes les plus proches des bêtes que d’un être intelligent. Ces gens-là vivent dans les lieux sauvages et les grottes ; ils mangent de l’herbe, des graines crues. Quelquefois, ils se mangent entre eux. On ne peut les compter au nombre des humains ».

c) El-Mutanabbi (915-965), le poète le plus renommé de tous les poètes arabes de tous les temps littéraires, lui aussi n’a pas pu se libérer de cette mémoire de la culture de la haine contre l’homme noir. Qui parmi nous, élève de l’école maghrébine ou arabe, n’a pas appris ou lu son poème (Kafour Al-Ikhchidi) sur Abû al-Misk Kâfûr (905-968), le gouverneur de l’Égypte. Dans ce poème, El-Mutanabbi utilise des mots très forts pour dénigrer, insulter ce gouverneur noir. Ce n’est pas uniquement parce que ce dernier n’a pas répondu favorablement aux ambitions du poète, mais d’abord parce qu’il EST noir. Il est le poème le plus connu chez les arabes et arabisés, dont voici un extrait :

 

Pour qu’un esclave pervers assassine son maître

Ou le trahisse, faut-il qu’il passe par l’Égypte ?

Là-bas, l’eunuque est devenu le chef d’esclaves en cavale,

L’homme libre est asservi ; on obéit à l’esclave.

L’esclave n’est pas un frère pour l’homme libre et pieux

Même s’il est né dans des habits d’homme libre.

N’achète jamais un esclave sans un bâton pour l’accompagner

Car les esclaves sont infects et des bons à rien dangereux.


Et nous continuons à enseigner ce poème jusqu’au jour d’aujourd’hui !!

 

Amin Zaoui

In "Souffles" (Liberté, Alger)

 


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A propos du rédacteur

Amin Zaoui

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Rédacteur


Amin Zaoui est un écrivain algérien né le 25 novembre 1956 à Bab el Assa (Algérie). il écrit chaque jeudi deux articles un en arabe dans le quotidien arabophone echorouk et en français dans le quotidien francophone liberté.

 

 

 

1984-1995 : enseignant à l’université d'Oran (département des langues étrangères)

1988 : Doctorat d'État en littératures maghrébines comparées

1991-1994 : directeur général du Palais des Arts et de la Culture d’Oran

2000-2002 : enseignant à l’université d’Oran (département de la traduction)

2002-2008 : directeur général de la Bibliothèque nationale d'Algérie

2009 : membre du conseil de direction du Fonds arabe pour la culture et les arts (AFAC)

Conférencier auprès de plusieurs universités : Tunis, Jordanie, France, Grande-Bretagne.

 

Publications en français

Les romans d’Amin Zaoui ont été traduits dans une douzaine de langues : anglais, espagnol, italien, tchèque, serbe, chinois, persan, turque, arabe, suédois, grec…

 

Sommeil du mimosa suivi de Sonate des loups (roman), éditions le Serpent à plumes, Paris, 1997

Fatwa pour Schéhérazade et autres récits de la censure ordinaire (essai collectif), éditions L'Art des livres, Jean-Pierre Huguet éditeur, 1997

La Soumission (roman), édition le Serpent à Plumes, Paris, 1998 ; 2e édition Marsa, Alger. Prix Fnac Attention talent + Prix des lycéens France

La Razzia (roman), éditions le Serpent à Plumes, Paris, 1999

Histoire de lecture (essai collectif), éditions Ministère de la Culture, Paris, 1999

L’Empire de la peur (essai), éditions Jean-Pierre Huguet, 2000

Haras de femmes (roman), éditions le Serpent à Plumes, 2001

Les Gens du parfum (roman), éditions le Serpent à Plumes, Paris, 2003

La Culture du sang (essai), éditions le Serpent à Plumes, Paris, 2003

Festin de mensonges (roman), éditions Fayard, Paris, 2007

La Chambre de la vierge impure (roman), éditions Fayard, Paris, 2009

Irruption d’une chair dormante (nouvelle), éditions El Beyt, Alger, 2009

 

En arabe

 

Le Hennissement du corps (roman), éditions Al Wathba, 1985

Introduction théorique à l’histoire de la culture et des intellectuels au Maghreb, éditions OPU, 1994

Le Frisson (roman), éditions Kounouz Adabiya, Beyrouth, 1999

L'Odeur de la femelle (roman), éditions Dar Kanaân, 2002

Se réveille la soie (roman), éditions Dar-El-Gharb, Alger, 2002

Le Retour de l'intelligentsia, éditions Naya Damas, Syrie, 2007

Le Huitième Ciel (roman), éditions Madbouli, Égypte, 2008

La Voie de Satan (roman), éditions Dar Arabiyya Lil Ouloume, Beyrouth ; éditions El Ikhtilaf, Alger, 2009

L'Intellectuel maghrébin : pouvoir - femme et l’autre, éditions Radjai, Alger, 2009