L’homme abstrait, par Jean-Paul Gavard-Perret
Quoique manifestement indifférent à tout ce qui pouvait s’apparenter à une relation amoureuse et vraisemblablement aussi à toute relation humaine, une sorte de grand-mère – que je connaissais à peine sinon par ses prénoms (Le Fouèse et La Blonde des Maisons) – m’a légué tout ce qu’elle possédait. Elle y joignit une lettre où elle me traitait de tous les noms. Au lieu de vous les énoncer je vous listerai – en mon propre héritage – ce que fut son legs. Ayant reçu ses clés, je suis allé dans sa remise. Il y avait un bric-à-brac de boîtes. Je les ai ouvertes une à une… Il y avait la boîte à rire, la boîte à sourire, la boîte à pleurer et celle à pleurer de rire. La boîte à ouvre-boîte (j’aurais dû commencer par elle, encore aurait-il fallu qu’elle soit bien rangée). La boîte aux lettres d’amour et celle aux lettres de rupture. La boîte à chaussettes et celle aux godemichés sur laquelle était écrit « boîte à promesse ». Bref la boîte à trancher les problèmes ou à parer au plus pressé. Il y avait aussi la boîte aux taciturnes burnes, la boîte à blancs de poulet. La boîte à plumes et celle à défauts que je trouvais au poil. La boîte à lune nommée sur le côté « boîte de nuit ».
Plus haut une boîte sans fond permettait de voir à travers celle à double fond. Puis la boîte à existence sans pareille, la boîte énigmes conçue pour qu’ils restent entiers. Il y avait aussi une boîte à l’envers dite à Dagobert. Celle (fanée) à vieillesse, celle (délavée) à jeunesse passée, La boîte à rêve, la boîte à cauchemar, la boîte à aube pour un abbé défroqué que ma donatrice avait dû aimer. Bref la boîte perdue et retrouvée. Ou celle à soupirs et à lyre et la boîte à relire, La boîte à bonheur, à armoires et à élégie, La boîte à effets mères. La boîte à Freud et à hystéries. Collectives ou non. La boîte à petits beurres, La boîte à petits cons. La boîte à petits pas, la boîte à patapons, la boîte à ainsi font. La boîte à ego sans trique. La boîtes à larmes (avec ses bocaux). La boîte à désarroi, La boîte à Boileau. La boîte à grains de sel et celle en roncier de l’amour. La boîte à pinceaux et à pots de peintures. La boîte à paysages. Et celle à vanités. La boîte à malices. La boîte à perles de rosées. La boîte à mélancolie, La boîte où la vie se creuse et celle à doryphores des halles. La boîte à mille temps, La boîte à nymphes et celle à fantasmes. La boîte à gratter, La boîtes à minutes et à heures. La boîte à cordes de guitare et à celle pour se pendre (mais elle était vide). La boîte à que, la boîte à quoi. La boîte à tralala, La boîte à mouquères. La boîte à vitesse et la boîte à langueur. La boîte à ongles d’Amérique, celle à bottes, celle à botanique. La boîte à Dieu, à deux et la boîte échangiste. La boîte soluble dans ce qu’elle contient et celle qui ne ferme pas. La boîte sur un doigt brûlant et celle à fil amant. Celle de son fils aimant (ce qui n’est pas le cas de celui dont il fut le père). La boîte à chimères et celle à Sapho nette. La boîte à pilules à mères, la boîte à puces, et celle à poux qui pètent, La boîte à âne-thon. La boîte à trous de mémoire et à trous du lampon. Après un tel déballage, Foutriquet, me dis-je, cette vieille océane ne t’a légué que ses fonds de poubelle. Elle m’a donc pris pour celui que je devais être : le rogaton, le menu fretin au destin d’ablette, le sandwich tourneur, l’homme abstrait, mon sosie et mon doute suprême.
L’une et l’autre
Elle
Tu es ma Jouvence de la Fée Sourire, ma Dolly Prane, mon obsédange, mon huile de foi, ma mire à belle, mon clou de giroflée, le petit canard qui m’enivre bref mon coinointreau, mon onguent en emporte le temps, ma bombe non glacée et sans cornette, mon sarment pour jeu de paumes, mon kama soutra, ma fièvre pas que du samedi soir et qui monte à El Paso (doble), mon hip et mon hop, la biafine de hanche, mon K momille, mon bande haut, le printemps du cancre las, la paroxétitine pour veau doux, mon jus de pommes cézanien, le corps pas sage sous ton corsage, mon corps puce et mon tourne vice, l’absinthe Marie même si ce n’est pas ton prénom.
Lui
Ecoute ta chair lorsque le soir descend, et ne te prends plus dans l’engrenage de tes prétentions. Confonds le trivial et le résidu, Eprouve les velléités du couchant, Epuise les provisions de ta mère avec panache (il ne lui reste qu’un peu de safran dans les yeux). Reste une sorte d’apothéose visqueuse et un apophtegme mou. Séduis-toi toi-même et que les lapsus ramènent tout à l’humidité. Cultive l’ennui, n’attends plus rien de ton épouse. Sa nostalgie deviendra l’enluminure d’une existence qu’elle n’a jamais vécue. Contemple l’automne avec précision, Résiste à la poussée des fougères. Complais-toi à décrire ce qui meurt en un rouge doux, fais friser les images et laisse, indifférent, des lignes jadis habitables.
Qui ?
Jean-Paul Gavard Perret
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