L'homme à la carrure d'ours, Franck Pavloff
L'homme à la carrure d'ours. Janvier 2012. 208 p. 15 €
Ecrivain(s): Franck Pavloff Edition: Albin Michel
Le verre à moitié plein ou à moitié vide ? S’agissant, ici, d’un livre, celui-ci est-il seulement à moitié réussi ? Ou à moitié raté ? C’est en tout cas un sentiment mitigé qui ressort de la lecture du dernier livre de Franck Pavloff, L’homme à la carrure d’ours.
Ce qui séduit, verre à moitié plein, c’est le cadre, plus qu’insolite, dans lequel se déroule l’action. On se trouve aux confins de la Russie arctique, dans un endroit appelé « la Zone » où un froid d’acier, souvent en dessous de -30°, fige toute vie.
Quelques années plus tôt, un ordre d’évacuation générale d’urgence a été donné par les autorités, et l’ancien site minier a été déclaré territoire à hauts risques. Des fûts de carburant nucléaires ont été enfouis sous la terre à la hâte, et des mineurs enterrés vivants. Un décret a assigné à résidence à vie les reclus de la Zone. Personne ne peut s’échapper. Et personne ne peut plus non plus y entrer.
« Nul n’a jamais franchi les frontières de la Zone ».
Ceux qui s’y essaieraient se feraient tuer par les snipers qui surveillent l’endroit.
Plusieurs communautés abandonnées à leur sort du jour au lendemain, qui ne connaissent que fatigue et privations, cohabitent. Ou plutôt se font la guerre.
« L’impasse de la Zone, ce n’est pas la réclusion imposée par d’invisibles gardiens dans un territoire figé aux limites floues, c’est le cœur des reclus racorni comme une peau mal tannée ».
Parmi ceux-ci, Kolya, le sculpteur d’ivoire, l’homme à la carrure d’ours du titre, qui n’aurait de toute façon jamais voulu quitter les terres sur lesquelles son clan vit depuis des siècles.
« Comme chaque jour depuis plus de vingt ans il continue de sonder les profondeurs, malgré son flanc qui le taraude, malgré la lassitude. Il refuse de prendre acte de sa désespérance, et aujourd’hui encore se persuade que les larmes qui mouillent ses joues ne sont que des gouttes de sueur ».
Il y aussi Lyouba, la dernière femme, ou la première. Elle qui a choisi de devenir muette plutôt que de se soumettre aux hommes de la Zone. Ils l’ont quasiment tous violée, espérant ainsi que naîtrait un enfant qui redonnerait l’espoir.
Tout est en place, mais ensuite, verre à moitié vide, il ne se passe pas grand-chose, un peu comme si les scènes d’exposition succédaient aux scènes d’exposition. L’intrigue ne démarre jamais vraiment, ce qui fait que l’auteur tombe un peu dans la complaisance en passant son temps à décrire le monde qu’il a créé.
Comme souvent quand on met en place un univers clos, l’auteur se retrouve dans une impasse et ne sait pas comment s’en sortir autrement qu’en sortant de l’endroit, ou en y faisant entrer quelqu’un. On devine aussi trop à l’avance ce qui va se passer, la tension dramatique s’éteint à petit feu, ou plutôt, gèle. Et c’est dommage, car le livre est porté par une écriture dense et lyrique, très travaillée et maîtrisée, singulière à tous points de vue.
Yann Suty
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