L’Histoire d’un roman, Thomas Wolfe (par Jean-François Mézil)
L’Histoire d’un roman, éditions Sillage, 2016, 80 pages, 7,50 €
Ecrivain(s): Thomas WolfeCe petit livre de Thomas Wolfe est un condensé d’écriture. Petit livre de Thomas Wolfe, ai-je dit… un oxymore ! tant on est habitué, chez lui, à des roman-fleuve. Mais petit, il ne l’est que par la taille (une soixantaine de pages). De la taille des livres, il va justement en être question, mais commençons par le début.
Le propos de Thomas Wolfe est de nous parler de son travail d’écriture : « Cela n’a rien de très littéraire ; c’est une histoire de sueur, de douleur, de désespoir et d’aboutissement partiel ».
Nous parler de sa vocation : « Je ne sais pas de quelle manière je suis devenu écrivain, mais je crois que c’était à cause d’une certaine force que j’avais en moi et qui avait besoin d’écrire, qui éclata finalement au grand jour et se fraya un chemin ».
Il revient d’abord sur la publication de son premier roman, Look Homeward Angel : « Il reçut quelques critiques favorables, dans certains endroits ; des critiques défavorables, dans d’autres ; mais il fut incontestablement bien reçu pour un premier livre, et surtout il continua au fil du temps à trouver des lecteurs ».
Autant l’accueil de la critique l’établit en tant qu’écrivain, autant on le voit souffrir des réactions hostiles des habitants de Asheville, sa ville natale : « Pendant des mois, la ville fulmina, habitée par un ressentiment furieux que je n’aurais jamais cru possible ».
S’en suit une réflexion sur les « façons convenables » de « se servir de la matière et de l’expérience de sa propre vie », sachant que « toute œuvre de création sérieuse est nécessairement autobiographique ».
Thomas Wolfe note aussi, non sans humour, que « certains habitants de sa ville natale […] se souvenaient […] d’événements » qu’il avait inventés, comme celui de « l’ange en marbre […] ayant donné son titre à son livre ». La fiction surclasse parfois le réel : c’est bien là le génie de l’écrivain.
Un génie qui vire à la folie tant sa fièvre d’écrire touche au délire. Le moindre souvenir qui affleure, le moindre événement auquel il assiste, tout est prétexte à écriture et vient s’agglomérer à l’ensemble (sans plan, sans structure) qui ne fait qu’enfler de jour en jour et devient tentaculaire :
« J’eus réellement l’impression d’avoir en moi un grand fleuve dont la pression demandait à être libérée, et de devoir trouver un canal dans lequel sa puissance diluvienne pourrait se déverser. Je savais que si je ne le trouvais pas, je serais détruit par le déluge de ma propre création… ».
Comment maîtriser un tel flux ? Comment l’ordonner et produire un nouveau roman : « Les critiques avaient commencé à se poser des questions concernant mon deuxième livre, et par conséquent je devais commencer à y penser aussi ».
Thomas Wolfe ne nous cache rien de sa difficulté, de son angoisse aussi, devant tant de pages noircies (antithèse de la page blanche) dépourvues de fil conducteur : « Je ne suis qu’un écrivain en plein apprentissage de son métier et en pleine découverte de la trame, de la structure et de l’articulation du langage qu’il me faut découvrir pour faire le travail que je veux faire ».
On le suit alors dans ses rapports avec son éditeur pour tailler, dans la masse des milliers et milliers de pages (ces millions de mètres cubes déversés par le fleuve), un bloc de la taille d’un roman : ce sera Of Time and the River, après « un énorme travail de révision, de raccommodage, de mise en forme et, par-dessus tout de coupe ».
Publié en 1936 (deux ans avant sa mort), The Story of a Novel devrait être le livre de chevet de tout écrivain.
Jean-François Mézil
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