L’histoire d’Erika, Ruth Vander Zee, Roberto Innocenti (par Yasmina Mahdi)
L’histoire d’Erika, Ruth Vander Zee, Roberto Innocenti, éditions D’Eux, septembre 2021, trad. anglais, Christiane Duchesne, 24 pages, 14 €
Déportation
Ruth Vander Zee, née près de Chicago, longtemps enseignante puis suppléante, a écrit deux livres à succès, Erika’s Story et Mississipi Morning. Après une première version intitulée L’étoile d’Erika, sortie en 2003, France Leduc et Yves Nadon, des éditions canadiennes D’eux, ont jugé important de publier à nouveau ce grand album jeunesse, avec un tout nouveau graphisme et une nouvelle traduction de Christiane Duchesne. L’histoire est terrible en soi : une femme confie un secret douloureux, ayant été lancée nourrisson hors d’un train en route vers un camp de la mort nazi en 1944, élevée par quelqu’un qui a risqué sa propre vie pour sauver la sienne. L’histoire d’Erika est illustrée par Roberto Innocenti, né près de Florence en 1940, affichiste et graphiste, dont l’œuvre plastique a été couronnée du Prix Hans Christian Andersen en 2008.
Ce livre puissant, de format carré 26x26 cm, relié, de 24 pages, donne à voir in petto, sur sa couverture, le sujet dont il est question : l’holocauste. Le gris y est la couleur dominante, neutralisant les autres couleurs, le gris métallique, poussiéreux, décoloré, argenté – teinte connotée péjorativement, liée à la dépression atmosphérique, la tristesse, la « grisaille », la solitude, l’uniformité ; la cendre. L’on voit fichée sur les vêtements la pièce de tissu jaune décoloré en forme d’étoile de David, dispositif de discrimination et de marquage imposé par l’Allemagne nazie aux Juifs, marque d’infâmie. Pourtant, l’étoile à six branches est un symbole très ancien et à l’origine universel. Plusieurs populations l’avaient choisie comme emblème ou comme figure décorative, à cause de l’harmonie géométrique qu’elle suggérait, en Asie et plus tard, dans la péninsule arabique à travers les arts islamiques. Ici, l’étoile harmonieuse est devenue le symbole de la barbarie.
R. Vander Zee rapporte l’histoire d’Erika, la rescapée, et son récit est servi par une langue manifeste et directe. Le texte, centré, est rédigé avec une typographie très soignée et une mise en page équilibrée. Les peintures, les lavis et le dessin de Roberto Innocenti renforcent l’impression de terreur de la déportation. Expliquer la Shoah aux enfants du XXIème siècle est nécessaire mais complexe. Entre les deux illustrations imposantes, remarquables, du début et de la fin de l’album, les barbelés, le chemin de fer, les wagons hideux, des bétaillères, transportent des innocents vers les camps d’extermination. Le peu de signes, l’aridité du fond du paysage lépreux, les molosses casqués, armés et l’absence de visages, ce peu disert est d’autant plus saisissant qu’il rend compte de la déportation. L’irreprésentable est « figuré » de façon très sobre, par l’image d’un camp de baraquements vide, sous la neige, desservi par le train de l’horreur – Auschwitz ou Mauthausen. Néanmoins, une petite chose humaine, rose, vient éclore sur le chemin des défunts, des disparus. Et cette frêle créature, c’est Erika, la seule qui ait conservé un visage.
Ce livre est le témoignage d’un fait réel, abordable dès l’âge de 8 ans.
Yasmina Mahdi
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