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L’Héritier du nom, Alexander Münninghoff

Ecrit par Gilles Banderier 09.05.18 dans La Une Livres, Payot, Les Livres, Critiques, Biographie, Pays nordiques, Roman

L’Héritier du nom, janvier 2018, trad. néerlandais, Philippe Noble, 350 pages, 22 €

Ecrivain(s): Alexander Münninghoff Edition: Payot

L’Héritier du nom, Alexander Münninghoff

 

Né en Estonie, le philosophe Hermann von Keyserling a publié, entre autres livres, une célèbre Analyse spectrale de l’Europeet un recueil intitulé Voyage à travers le temps (Reise durch die Zeit). L’Héritier du nom, dont le sous-titre indique modestement « chronique familiale », constitue également, à sa manière, un voyage à travers l’Europe d’hier. Comme Keyserling, Alexander Münninghoff est originaire des Pays baltes, où son grand-père s’était installé en venant des Pays-Bas. Avec l’extermination de son importante communauté juive et quatre décennies de communisme, Riga (un peu comme Vienne) a perdu le caractère cosmopolite et commerçant que possédait cette vieille cité hanséatique avant la Seconde Guerre mondiale. Elle offrait alors l’hospitalité à des citoyens scandinaves, néerlandais et allemands (nous ne sommes pas loin de Königsberg, la ville natale de Kant). Il y était courant, du moins dans les strates supérieures de la société, de parler trois ou quatre langues.

De façon générale, le lecteur aborde un livre qui se présente comme une « chronique familiale » avec le même sentiment d’ennui profond et anticipé qu’il éprouve lors d’une soirée chez des amis, quand on annonce qu’on va lui montrer les photographies des vacances. On n’a même pas le temps d’émettre un soupir d’ennui, si assourdi soit-il, tant la scène d’ouverture pique la curiosité : il n’est pas banal qu’un bambin de quatre ans trouble une réunion de famille en se présentant affublé d’un casque SS déniché au grenier. Contre toute attente, il ne se fera pas réprimander (après tout, ce n’est pas lui qui a abandonné cette encombrante relique là où il l’a trouvée) par le patriarche, son grand-père, qui l’adore car ce petit garçon est « l’héritier du nom », le seul susceptible de permettre au patronyme familial de franchir le temps. Surnommé « le Vieux » tout au long du récit, ce grand-père, qui n’est pas sans faire penser au personnage de Paul Getty dans le film de Ridley Scott (en moins riche, mais sans être pauvre) est le personnage central du livre, qu’on lit comme un roman, avec la même anxiété de savoir ce qui se passe à la page suivante. « Le Vieux », Johannes Münninghoff, avait quitté ses Pays-Bas natals au début du XXesiècle, pour s’installer en Lettonie où il fit fortune, avec un mélange savamment dosé de génie commercial, d’opportunisme et de sens des combinaisons politiques, en quantités variables. Il comprit qu’il n’y avait rien de bon à attendre de l’Union soviétique voisine et, dès le commencement des hostilités, dûment informé des clauses secrètes du pacte germano-soviétique, rapatria toute sa famille aux Pays-Bas. Là, il se montra habile à plaire au coq sans déplaire à Pierre, travaillant avec l’Allemagne et soulignant l’engagement de son fils aîné parmi les SS combattant sur le front russe, tout en renseignant la Résistance dans le secret de son fumoir. De sorte que, la guerre finie, il ne fut inquiété par personne et put continuer à diriger ses entreprises ou à en fonder d’autres. Pour le fils aîné – le père de l’auteur – ce fut une autre histoire, car dès 1944, le fait d’avoir appartenu à la SS n’était pas une chose dont on pût se déclarer fier ou qu’il fût souhaitable de mettre en avant pour retourner à la vie civile. Établir des distinctions entre les « mauvais » SS qui œuvraient dans les camps de la mort et les « bons » SS combattant l’Armée rouge n’était pas non plus un exercice bien convaincant. Frans Münninghoff, le fils aîné du « Vieux », sera un des innombrables soldats perdus d’une guerre perdue, dans un pays en ruines, lequel se relèvera avec une surprenante rapidité. L’auteur, lui, naquit le 13 avril 1944, dans la ville polonaise de Poznań (qui s’appelait encore pour quelque temps Posen). Un accouchement n’est jamais un moment agréable, ni pour la mère, ni (autant qu’on puisse en juger) pour l’enfant, mais lorsqu’en plus des bombes s’abattent sur l’hôpital, l’événement prend des proportions particulières. Alexander Münninghoff pourrait, comme on le dit familièrement, tirer la couverture à lui, mais se garde bien de le faire (même si, quand on a été pendant trois décennies correspondant de presse en  Russie, on a des choses à raconter). L’Hériter du nomn’est pas un de ces ouvrages horripilants où l’auteur se donne le beau rôle et écrit « je » à chaque ligne. Avec un cynisme roboratif, il s’efface derrière les membres de sa parentèle. Certes, le cynisme n’est pas nécessairement une tournure d’esprit qu’il convient d’encourager mais, en certaines circonstances, il se révèle un antidote indispensable. Tel est le cas. Ce livre passionnant, où l’auteur a su élever un destin particulier au rang de l’universel, est fort bien écrit et (les deux ne vont pas toujours ensemble) très bien traduit.

 

Gilles Banderier

 


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A propos de l'écrivain

Alexander Münninghoff

 

Journaliste, Alexander Münninghoff a été correspondant en Russie pendant trente ans. Son livre a connu un succès fulgurant aux Pays-Bas.

 

A propos du rédacteur

Gilles Banderier

 

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Docteur ès-lettres, coéditeur de La Lyre jésuite. Anthologie de poèmes latins (préface de Marc Fumaroli, de l’Académie française), Gilles Banderier s’intéresse aux rapports entre littérature, théologie et histoire des idées. Dernier ouvrage publié : Les Vampires. Aux origines du mythe (2015).