L’héritage du commandant, Rainer Höss
L’héritage du commandant, éd. Notes de nuit, novembre 2016, trad. allemand Elisabeth Willenz, préface Bernhard Gotto, 250 pages, 20 €
Ecrivain(s): Rainer Höss
Fabian Gastellier est devenue éditrice pour que le passé revienne comme une onde, et plus particulièrement afin que demeure la mémoire des victimes de la Shoah, et dans le but de tirer le monde loin de la barbarie. Celle-ci assiège toujours le présent. Il faut donc rameuter un temps qui fut vécu par certains au-delà de toute conscience. Le livre de Rainer Höss le prouve. Petit-fils de Rudolf Höss, commandant du camp d’extermination d’Auschwitz, sa famille vécut en toute quiétude à deux pas de l’horreur. Né bien après l’Holocauste, l’enfant doit se soumettre au silence imposé par sa famille afin de préserver l’image de son aïeul. Mais il semble assommé par un tel poids. Refusant la torpeur programmée, il réveille ce passé tant celui-ci le consume. Il voue son travail et sa vie au combat contre la discrimination, multiplie les interventions publiques en évoquant non les victimes mais ceux qui furent au plus près de leur extermination.
S’appuyant sur les mémoires de son grand-père, Rainer Höss en cite des passages aussi « naïfs » que terribles : « Ma famille avait la belle vie à Auschwitz ». Et le Commandant de préciser : « Ma femme avait son paradis fleuri (…) Les enfants s’épanouissaient librement et sans contraintes. Dans le jardin ils avaient toujours plein d’animaux que leur rapportaient les détenus ». A côté, d’autres enfants étaient gazés. L’auteur rappelle que leurs cendres servaient d’engrais à ce « Paradis ». Et il évoque certains mots de sa grand-mère : « Lavez bien les fraises, les enfants, à cause de la cendre ».
Lourd de cet insupportable héritage, Höss avoue n’avoir eu qu’un réflexe : « hurler ». Mais il a su transformer son cri en témoignage afin que rejaillissent les masses obscures du passé abyssal, afin que le sujet humain n’endure plus un tel naufrage. Il faut pour cela parfois oser préférer l’Histoire à sa « mère » afin de démonter les procédures mentales qui permettent de faire abstraction de l’horreur. Existe de la part de Höss le plus grand pouvoir de la conscience afin de rappeler comment les innocents furent condamnés et sacrifiés au non-temps, au non-être, par une idéologie qui effaça toute raison. Et ce, où beaucoup cherchent à faire passer de tels actes sous le sceau du secret en fabriquant au besoin des mensonges sur l’horizon du passé. A l’inverse, l’auteur fait renaître les morts qui n’ont plus de mémoire pour façonner avec eux des significations immémoriales.
Il faut en effet que la mémoire remonte, traverse le présent afin que celui-ci contemple le passé avec lucidité. Car le passage de l’ordre de la destruction et le vertige de l’horreur sont toujours latents. Höss force à comprendre comment ils se fomentent dans ce qui tient de la plus terrifiante des indifférences.
Jean-Paul Gavard Perret
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