L’exil, Olivier Larizza (par Murielle Compère-Demarcy)
L’exil, Olivier Larizza, Andersen+ éditions, 2017, 107 pages, 8 €
Écrire des poèmes de manière ininterrompue, comme vivre. Jusqu’à l’ultime souffle. À l’heure interminable où la poésie bat de l’aile. À contre-temps : « Que vient faire (…) cette modeste plaquette de vers libres à l’heure persistante et triomphale du roman (dont je me demande toutefois si les tombereaux qui engorgent nos librairies n’augureraient pas du chant du signe) ? » interroge l’auteur. Écrire encore, toujours, des poèmes de manière ininterrompue, comme survivre. À cheval sur le réel et le rêve, comme Olivier Larizza a nourri le vif de son lyrisme à cheval sur deux continents, le Grand Est et la Martinique (cf. Avant-Propos). Dans l’entre-deux de ce qui s’écarte des sentiers battus, comme les auteurs soutenus par les éditions Andersen+. L’écart… figure et posture symbolique de ce qui inspire / expire le souffle poétique dans le creuset du quotidien ainsi exécuté dans une alchimie, tristement prosaïque si un certain regard ne vient l’enchanter. L’écart, dans le décalage comme l’exil subsiste dans la mise à distance. L’exil constitue une sorte de journal intime sous forme de poèmes incluant les années 2006-2009. Rédigé au long cours durant douze années entre Strasbourg inspirant la nostalgie du pays natal et les Caraïbes, « le pays du soleil ». L’ensemble de l’œuvre formera un triptyque, agencement de trois tomes dont L’exil constitue le premier volet.
Si L’exil s’étend de novembre 2006 à l’été 2009, L’Entre-Deux captera les années 2009-2010, La Mutation les années 2010-2014. L’alliance de la voix lyrique à celle plus objective du documentaire (documentaire d’une vie, autrement dit autobiographie notée ici en « confidences ») donne corps à une présence singulière, confère une place remarquable à Olivier Larizza dont l’éclairage sur la place occupée par la poésie française contemporaine dresse un état des lieux édifiant tout en exposant son « art poétique », dans une postface-manifeste rédigée en 2016.
D’entrée le rythme du poème entraîne « dans la moi / teur de (l)a solitude » quand, « perdu », le narrateur-poète « (…) se retrouv(e) planté là nu / d’amour et plein de froid (…) » alors que celle à qui il « n’arrive pas à dire / tout le bleu-vert inondant son / cœur chaque fois qu’elle / plong(e) dans ses yeux » quitte les Antilles et le laisse seul avec son impossibilité d’avoir pu dire je t’aime. Alors, l’écriture se conçoit, l’Écrire est conçu, le fœtus du Verbe – de la parole poétique – accroché aux parois de la respiration du Vivre :
« Alors il prit sa pieuvre pitoyable plume &
comme un train fou il glissa
lui le hanté des mots et il mit
tout son fardeau paradoxe permanent
dans une improbable poésie une nuit
où elle avait pris l’avion quittant le pays
du soleil où le crépuscule majestu
eux & magenta se meurt et le tue
depuis lors ».
Le leitmotiv du « Paris-Tombouctou », « Paris-Tombouctou », « Paris-Tombouctou »… de Blaise Cendrars revient à l’oreille de notre souvenir ici où le voyage est de Fort-de-France à la Métropole aller-retour. Comme un rythme de la Prose du transsibérien et de la petite Jehanne de France saisit le lecteur plongé in media res, à peine posté sur le tarmac du recueil. Une nouvelle syntaxe du réel apparaît au cœur même des mots, miroirs de ce qui fragmente / se défragmente dans la vie, dans le cours de ses (par-)chemins à la fois palimpsestes de l’imprévu / de l’imprévisible et déconstructions en perpétuelle recommencement de ses édifices, pour que puisse se réinventer en se reformulant, le langage du réel, le réel du langage : le Verbe de L’exil pour que tout recommence.
Se disloque « l’impossible rivage » comme est traversé l’auteur – de la tête aux pieds, écharde encore debout dansant sur l’étincelle – par « l’improbable poésie ». Quelque chose indubitablement rappelle la voix du fantaisiste lunaire si singulier poète Jean-Paul Klée et sa « poësie » accrochée aussi à ne pas se voir sombrer avec le monde via la falaise effritée du réel et du Dire qui s’érode comme « le cœur qui fond se décompos(e) ».
Le regard poétique dans cette envergure où s’allume et dure le moteur des éditions Andersen+ est de feu puissant, à couper le souffle dans un phrasé ardent. « Et (même si) l’insatisfaction perdure », la « fulgurance du soir » veille, source souterraine, à l’instar des « pêcheurs d’éternité » guettant leurs « poissons dorés », loin des « (…) cancrelats / du voyage les paumés du sentiment qui / s’envolent pour les vacances vers les Antilles », loin des « poètes (qui) marinent dans la / complaisance l’obtenu le compassé ».
L’île flamboie dans la rose du cœur battu aux quatre vents. « Perdu », « Et l’insatisfaction perdure », « Fulgurance du soir » entre éclatement de soi et éclairs par le foudroiement de la déchirure, de la séparation d’avec l’être désiré à défaut de n’avoir pu être dit aimé, « Accablement », « Insupportable», « Mélancolie » : les titres des poèmes jetés dans l’océan livresque des confidences disent eux-mêmes l’exil qui les gouverne.
Dès lors quelle formule écrira la « Rédemption », à l’heure où « la poésie ne court plus les rues et le monde ne prend plus le temps d’éprouver », à l’heure où « l’art d’Orphée est devenu la cinquième roue du carrosse » ? Celle du Survivre. En demeurant « aux ordres de l’émotion », dixit Jean Breton en introduction à La Résurrection alsacienne de Jean-Paul Klee. En écrivant au plus près de soi, autrement dit en s’adressant à autrui. Comme dans ces « Confidences » où la poésie, vivante, incarne L’exil, le personnalise ; incarne un sentiment, chante par la voix de l’intime, pour nous faire accéder à l’universel.
Murielle Compère-Demarcy
Olivier Larizza est né en 1975 à Thionville, en Lorraine, dans une famille d’origine ouvrière ayant immigré d’Italie et de Hongrie. De 2003 à 2015, il a partagé sa vie entre Strasbourg et la Martinique. Il réside actuellement à Toulon et toujours dans la capitale européenne (plus jeune il a beaucoup voyagé en Europe et en Amérique du Nord). Il est l’auteur depuis 1999 d’une œuvre littéraire variée, avec à son actif plus d’une vingtaine d’ouvrages en tous genres (romans, récits, nouvelles, essais, contes, poésie…) qui ont été récompensés de plusieurs prix littéraires et traduits dans une dizaine de pays.
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