L’été des lucioles, Gilles Paris
L’été des lucioles, janvier 2014, 220 p. 17 €
Ecrivain(s): Gilles Paris Edition: Héloïse D'Ormesson
Voilà encore un livre où c’est l’enfant qui dit « je ». Ah ! Une petite « Guerre des boutons » bis ? un livre carrément gnian-gnian, sucré – faussement dégoulinant de choses sacrées de l’enfance ? Cela semble si facile d’écrire-enfant ; un jeu de môme… et au bout, souvent, n’intéresser personne, ni gamin, ni adulte…
Sauf quand on est Gilles Paris. Lui, il connaît parfaitement (ses livres, les prix qui vont avec, sont là pour le dire) ce code, cette musique-là ; pas une seule fausse note dans sa partition ! Au point qu’on a parfois des doutes : serait-il, ce Gilles Paris, un magicien, qui a les tours qu’il faut dans sa besace étrange ? Ou, mieux, serait-il lui-même encore un enfant ? malgré les apparences – sérieuses, de l’éditeur, de l’auteur. A-t-il gardé des secrets de savoirs, d’écriture, de langage, pour – quasi parfaitement – nous embarquer chez les 10/14, aussi sûrement qu’Alice (il doit bien, du reste, la connaître un peu) traverse le miroir.
Les minots de Paris sont plus qu’attachants ; ils sont vrais, et on voudrait les rencontrer, ailleurs que dans la lumière de son livre, entre mer, calanques et résidence « de caractère » (où Sissi, en personne, vint en son temps, prendre le soleil). C’est un été – banal – à Roquebrune (Cap Martin, mais cela aurait pu être l’autre). Unité – enfin presque – de temps, de lieu (un sentier des douaniers prêt pour toutes les aventures) ; quelques beaux personnages de devant de scène : un Corneille à hauteur de regard de moins de 10 ans…
Il s’appelle Victor, le gamin que vous allez préférer, le narrateur, mais sa grande sœur Alicia – juste ce qu’il faut de peste – n’est pas mal non plus. La mère est délicieuse – pas une vraie mère – une avaleuse de bouquins qui de temps à autre baisse ses lunettes de lecture (« de temps en temps j’aimerais être un roman pour ne pas quitter sa main ») ; une belle (on suppose) dame à l’accent argentin, peintre à ses heures, complète le cheptel. Père non en vue ; fréquent chez Gilles Paris ! Mais pas vraiment absent ; on va dire, gommé, estompé, pour l’heure… Les familles, vues du rayon enfants, c’est compliqué à comprendre, mais ça prend sens – étrange lego – car, pour un gosse, tout doit s’expliquer, et le regard – plus sérieux que celui de bien des papes – d’un gamin obstinément questionneur, c’est quelque chose qui s’apparente à la dureté, à la lumière aussi d’un diamant : « J’avais quatre ans, quand papa a gagné un appartement à côté de Nice. La sœur de papa… a raté un virage, et sa décapotable a rebondi d’arbre en rocher jusqu’à la mer qui a tout avalé… » et, depuis, le gars Victor a « deux mamans et un papa qui ne veut pas grandir… ». Constat.
L’été est lisse comme il doit l’être en vacances (surface du récit et des choses nous perdant par les chemins, mais joliment écrite au point que pas une odeur, pas un trait de paysage « encigalé » ne manque à notre bonheur de lire), mais les yeux du garçon qui se penche au-dessus de l’eau « du golfe clair » vont y voir ce que vous et moi – et les siens – n’y voient assurément pas.
C’est dans quelle mythologie, antique ou peut-être justement sud-américaine ? que les enfants ont ces pouvoirs de deviner, d’interpréter la vie et ses mystères… d’élucider, de valider des hypothèses, en regardant dans la chaleur de la nuit estivale les étranges lumières des lucioles du jardin. Victor, du haut de son – quoi ? – mètre dix, est un passeur de savoirs, et de secrets ; si vous êtes attentifs à ce qu’on ne voit pas, ça pourrait, vous aussi, vous sembler évident ! Avancez donc à pas de loups – faites comme si les enfants ne vous voyaient pas – par ce sentier des douaniers d’avant : « des marches et des racines qui retiennent mes pieds, comme des pièges pour enfants trop pressés » ; il y aura des arbres immenses qui servent de boîte aux lettres, un grand amour en devenir, Alice en plus moderne : « Justine et le papillon violet avec son œil qui voit tout… je pose ma main sur la joue de Justine, je crois même qu’elle rougit… ». Il y aura surtout des copains et des jumeaux. Étranges ? vous n’y êtes pas ! mieux, pire que ça… Et puis – un peu à la manière d’un conte – l’indispensable vieille, pas même sorcellante, mais bougrement sachante, et sympa en diable : une baronne, tant qu’à faire, « j’ai vu toutes ses petites rides au coin des yeux et sa bouche trembler un peu. Elle m’a fait penser à ma grand-mère Charlotte quand grand-père Félix mange de la langue de bœuf »…
Un été de lucioles dans l’air de la nuit… une saison de passage, peut-être quelque part, un rite d’initiation, pour sortir du chagrin, à tout le moins de malaises, mais agencés comme autant de millefeuilles. Papa ? les deux mères ? Alicia et sa recherche éperdue des premières sensations – délicieuse alchimie particulièrement réussie – et puis, plus loin dans des mémoires bizarrement verrouillées, cette sœur de papa, celle de l’accident… comment ça marche, une famille et pas mal de recoins restés dans l’ombre ? Et de voir sur le front de notre Victor, se dessiner des rides interrogatives, semblables à ces racines du chemin de bord de mer ; et de sentir, que, ma foi, la décision est en marche : il ne lâchera pas l’affaire, et quand c’est un dix ans à peine qui le dit !
On referme ce bonheur de livre, et on part doucement, pour que Victor ne grandisse pas trop vite…
Martine L Petauton
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