L’enfant jaguar, Anne Sibran (par Yasmina Mahdi)
L’enfant jaguar, Anne Sibran, mars 2022, Illust. Benjamin Bachelier, 48 pages, 17,90 €
Edition: Gallimard Jeunesse
Le génie du lieu
Anne Sibran a étudié l’ethnologie, la philosophie, et a appris le quechua à l’INALCO. Elle adapte dans ce livre-jeunesse de 48 pages, de 23x29 cm, L’enfant jaguar, l’histoire vraie d’un « vieux Sacha Runa d’Équateur ». Sur l’éclatante jaquette de couverture, un très jeune garçon émerge d’une frondaison touffue sous un croissant de lune, qui se tient prêt à nous embarquer dans sa quête. Benjamin Bachelier, diplômé des Beaux-arts d’Angoulême, accompagne le beau texte d’Anne Sibran par ses illustrations riches et de nature picturale.
La couleur, aquarellée dans un style sensible, produit souplesse et dynamisme. La fluidité des effets de fondus, des dégradés, ou des variations plus obscures, révèle et fait vibrer les teintes pétulantes. La technique mouillée des taches et des aplats rend idéalement l’atmosphère de la forêt amazonienne. Rien n’est vraiment totalement noir dans cet univers exotique et sylvestre, même la nuit est habitée. Des résurgences totémiques, des formes étranges animent de jour comme de nuit ce lieu secret.
L’homme initié se remémore son épreuve et raconte ses aventures sur le ton d’une fable. Or, plusieurs cosmogonies constituent la culture du peuple amérindien, sur la base du culte des ancêtres. Ainsi, le petit garçon est convié par son père à découvrir le langage de la forêt, comme le veut la coutume : « Mon père marchait vite. Je devais courir après lui. Et j’avais beau l’appeler, il avançait toujours. (…) On entrait dans la forêt sauvage, le territoire des esprits ». Les chamans sont des médiateurs essentiels à la communauté, lui permettant de faire le lien entre les mondes spirituels, des gardiens de savoirs ancestraux, grâce à leur connaissance intime de la faune et de la flore locales.
Le jeune lectorat va participer au rite d’initiation de l’enfant jaguar, apprendre comme lui à se repérer dans la nature vierge, à se protéger et à communiquer avec les éléments du vaste territoire amazonien. Ici, la relation chamanique est transmise par le père. L’espace sauvage est peuplé de plantes, d’arbres, de bêtes, espace à la fois de danger et de refuge.
Le texte a des images de grande beauté, et rend compte de l’expérience magique de l’enfant jaguar : « C’était l’heure où le soleil met sa couleur sous le ventre des feuilles, ça faisait comme du miel qui coulait de partout. (…) Et nous les hommes, on est la forêt qui met des colliers et qui ouvre des jardins. (…) En retournant dans mon abri, j’ai heurté un arbre qui m’a semblé léger comme un tissu (…) ». Dans les peintures de Benjamin Bachelier, les racines rougeoyantes puisent leur substance dans les marécages profonds. Des feuillages gigantesques parent les bords du fleuve. Des Indiens sont représentés parés et maquillés, dans des dominantes fauves, incarnats et incarnadins. Ce somptueux album jeunesse va permettre de pénétrer la magnificence d’un territoire et de comprendre les croyances des peuples menacés d’extinction. Ce livre est également une leçon universelle d’humanisme.
Dès 8 ans.
Yasmina Mahdi
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