L’égaré de Lisbonne, Bruno d’Halluin
L’égaré de Lisbonne, Éditions Gaïa, février 2014, 246 pages, 18 €
Ecrivain(s): Bruno d’Halluin
Après la relation d’un récit de voyage sur les mers – La Volta Au cap Horn dans le sillage des grands découvreurs, éditions Transboréal, 2004 – Bruno d’Halluin s’était déjà frotté au roman historique, avec Jon l’Islandais (Gaïa 2010). Et déjà avec la même époque en arrière-plan, le XVe siècle. Et déjà avec un sujet identique : des explorateurs qui, à bord de voiliers de plus en plus performants, repoussent les limites du monde connu. C’est dire si la période et l’exploration maritime sont les thèmes chers à l’auteur, qui récidive avec ce roman, particulièrement réussi : L’égaré de Lisbonne.
Le roman débute en 1500. L’histoire est racontée par Joao Faras, médecin et cosmographe. La première partie se déroule en mer et est très agitée, effroyable. Ça tangue, ça roule, ca tempête, ça vomit, ça gueule, ça prie, ça chavire, ça naufrage, beaucoup meurent, et quelques-uns survivent.
L’expédition de treize nefs et caravelles commandée par Pedro Alvares Cabral est entraînée jusqu’à la terre de Vera Cruz (le Brésil), contourne le cap de Bonne-Espérance, navigue le long de la côte orientale de l’Afrique, et subit tant de déboires et de pertes qu’on ne sait plus si l’on est encore humain.
« Dans ma tête, je passais en revue les hommes que je ne reverrais jamais. A vrai dire, je ne regrettais ni la perte du pilote, ni celle du proscrit. Je me sentais même soulagé par leur disparition. La mer m’aurait-elle rendu si mauvais, jusqu’à me réjouir de la mort de ceux qui me perturbaient ? Heureusement, je ressentais aussi quelque pitié pour eux, ce qui me rassurait sur mon degré d’humanité ».
Au retour – deuxième partie du roman – ça n’est pas gai pour tout le monde, surtout après un échec comme celui de cette armada. « On représente la face sombre de l’Histoire : l’échec, la mort. On gêne les projets du roi. Alors on nous met de côté et on nous demande de nous taire ». Oui les vicissitudes de la géopolitiques existent déjà, ainsi que les rivalités entre peuples et surtout entre souverains. A cette époque ça ne rigolait pas : il s’agissait rien moins que de se partager le monde… Et il fallait protéger les cartes, plus ou moins fiables, mais régulièrement mises à jour en tenant compte des nouvelles découvertes.
En 1502 l’aventure continue, des marins remontent le Tage et rentrent au port (Vespucci…), d’autres en partent. L’imprimerie bouleverse la tenue des cartes ; de Florence arrive un art à la belle réputation. Lisbonne aussi change. La ville est très bien rendue, avec beaucoup de descriptions (le port, les collines) mais également son ambiance, ses bruits, ses métiers, et aussi les problèmes liés à la « conversion forcée » des juifs en 1497.
« Un léger vent d’ouest tempérait les premières chaleurs. La marée commençait à monter, inversant peu à peu le cours du Tage. Le soleil déclinant faisait scintiller de jaune les rides du fleuve. A cette heure, l’estuaire méritait bien son nom de mer de paille ».
L’égaré de Lisbonne est un roman sur l’Histoire, sur la navigation, sur la découverte des autres, du monde, de soi, un roman sur la vie, sur l’amour, sur l’espionnage, sur les espoirs, sur les choix : entre les périls de la terre (la peste, les tremblements de terre, les lynchages) ou ceux de la mer (les tempêtes, les risques du voyage et des terres inconnues), entre le judaïsme ou le christianisme. Roman à cheval sur deux périodes, le Moyen-Age et la Renaissance. Roman vivant, documenté, riche, agréable à lire, qui transportera le lecteur dans un autre monde. Ou plus exactement, de l’Ancien vers le Nouveau Monde…
Lionel Bedin
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