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L’écriture comme expérience - à propos de Ecrit parlé de Philippe Jaffeux

Ecrit par Didier Ayres le 18.08.16 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

L’écriture comme expérience - à propos de Ecrit parlé de Philippe Jaffeux

 

à propos de Ecrit parlé de Philippe Jaffeux, Passages d’encre, mai 2016, 37 pages, 5 €

 

En détournant légèrement les propos d’Allan Kaprow qui prônait Art as experience (de Dewey), je voudrais dire quelques mots sur le dernier livre de Philippe Jaffeux, Ecrit parlé. Mais comment qualifier l’ensemble de ses remarques sur la question d’écrire – sur sa propre interrogation – en une simple chronique qui ne peut envisager au mieux que de donner des pistes de réflexion ?

Ce que je peux dire cependant, c’est que la question d’écrire est pour lui une affaire réfléchie, et qui surgit au croisement de puissances contraires : vie/mort, oral/écrit, disparition du sujet/empreinte de l’écriture, dépersonnalisation/conscience de soi. Toutes ces ambiguïtés agissent sur les propos de l’auteur en son « continent intérieur inexploré ».

Je poursuis une aventure qui s’appuie sur des risques, des décalages ou des contrepoints afin d’insuffler un mouvement et un rythme à un bricolage plus ou moins créatif.

Nous sommes ainsi dans l’atelier, dans la forge, au milieu des feux rougeoyants de la vie intérieure d’un artiste, qui fait d’écrire une expérience, un acte de présence, peut-être à la manière de Kaprow qui voyait l’art dans la vie. Cependant il faut ajouter à cette courte chronique d’aujourd’hui, au moins deux choses qui me paraissent d’un intérêt supérieur et qui m’avaient déjà frappé à la lecture d’autres livres de Philippe Jaffeux, avec par exemple son Alphabet – chez le même éditeur – je veux dire le texte considéré dans une plastique, comme expérience esthétique sur la page (je pense d’ailleurs autant à Perec qu’aux calligrammes d’Apollinaire). C’est donc à une sorte de performance (de Event ou de Happening comme le disent les Américains) et ainsi de vie prise sur le vif qui se mêlent à l’art, à quoi j’ai eu recours pour parcourir ce livre petit en volume, mais très dense par son contenu.

Au reste et en second lieu, cette tentative d’explication du poète s’accorde davantage à la musique qu’aux arts visuels, dans la mesure où une partition peut être une pièce en soi (je pense aux fameuses partitions colorées de Nono), et surtout parce que l’auteur ici ne fait appel à aucune image, sinon une référence, une allusion à Rothko ou à Pollock. Ou encore, à des notations qui se réfèrent implicitement au Nietzsche de La Naissance de la tragédie, ou à Montaigne, quand il écrit que son livre l’a fait autant qu’il a fait son livre.

Performance, dripping, all-over, allusions au rythme d’une partition, dessins de taches et de pliures du test de Rorschach, c’est ainsi que j’ai parcouru ce livre condensé et fort, tout en ne négligeant pas le côté énigmatique, profond et nocturne parfois de cette prose. C’est comme cela que j’ai fini ma lecture, habité à mon tour de représentations de la même espèce que celle du complexe Piranèse, ou de l’abyssal Escher, car je pense plus facilement en terme de peinture. Donc, en songeant à une littérature qui s’éprend d’elle-même et communique sa passion.

 

Didier Ayres

 


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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.