L’Ecole et les Enfants de l’immigration, Abdelmalek Sayad
L’Ecole et les Enfants de l’immigration, septembre 2014, 240 pages, 19,50 e
Ecrivain(s): Abdelmalek Sayad Edition: Seuil
Seize années après le décès du sociologue Abdelmalek Sayad, les éditions du Seuil viennent de publier une série de textes inédits dans le champ de l’immigration qui traitent de l’école et des familles immigrées. A travers cet ouvrage dirigé par Smaïn Laacher, sociologue, et Benoît Falaise, historien de l’éducation, A. Sayad propose une réflexion critique sur la manière dont l’institution scolaire perçoit les enfants des familles immigrées apparus dans l’espace scolaire.
Ecrits entre 1977 et 1997, ces textes ont été trouvés sous forme manuscrite ou dactylographiée dans le « fonds Sayad », constitué à partir des archives du sociologue, confiées en 2006 à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (CNHI) et conservées à la médiathèque de cette institution qui porte le nom du sociologue. Les textes publiés sont au nombre de dix. Ils ont été écrits lorsque A. Sayad était sollicité par des associations et par des instances gouvernementales pour réfléchir sur la question de l’école et des enfants des familles immigrées.
La « Commission Berque » chargée par le ministre de l’époque, Jean-Pierre Chevènement, de proposer une réflexion sur l’intégration scolaire des enfants de familles immigrées est l’une des instances pour laquelle A. Sayad a produit des analyses et proposé un certain nombre de mesures qui, au final ne seront pas pris en compte.
Quel est le contexte dans lequel ces textes ont été écrits ?
La contribution de A. Sayad aux débats relatifs à la scolarisation des enfants issus de l’immigration intervient dans un contexte bien particulier. A la fin des années 1970 et au début des années 1980, la migration algérienne notamment « masculine, de travail et provisoire » est remplacée par la migration de peuplement. Ainsi, l’arrivée des épouses et des enfants sur le territoire français « a révélé au monde social l’existence controversée de la famille immigrée et ses relations aux institutions, en particulier l’institution scolaire » (Benoît Falaise et Smaïn Laacher).
L’apparition des enfants d’ouvriers issus de culture différente dans l’ordre national et plus précisément au sein de l’institution scolaire a incité cette dernière à s’interroger sur ces nouveaux publics et sur les moyens à mettre en œuvre afin de penser leur intégration institutionnelle et de lutter contre leur échec scolaire.
A cette époque l’institution scolaire privilégie une approche pédagogique culturaliste au sein de l’école primaire. L’idée étant de prendre en compte la culture et les langues des nouveaux publics dans le but de les valoriser : Mieux connaître ses « origines », c’est mieux s’accepter et mieux accepter les autres, et du même coup, avoir une plus grande confiance sociale en soi et dans le monde, écrivent B. Falaise et S. Laacher pour illustrer l’idéologie pédagogique qui prévalait dans les années 1970/1980.
Et pour réfléchir sur la question, le ministre de l’éducation de l’époque Jean-Pierre Chevènement a confié au sociologue et anthropologue orientaliste Jacques Berque la mission de faire des propositions sur l’école et les conditions de scolarisation des enfants issus de l’immigration.
C’est donc dans un contexte où prévalait l’idée d’une pédagogie scolaire culturaliste qui visait à valoriser la diversité, la différence, que A. Sayad est associé à cette réflexion. A. Sayad est sociologue de l’immigration. Il est également ancien instituteur. C’est donc en fin connaisseur des deux champs qu’il prend part à cette réflexion où il se démarque de la perspective culturaliste qui ethnicise le problème des enfants d’immigrés au détriment de la dimension sociale. De son point de vue, recourir à l’enseignement des langues et cultures « d’origine » pour remédier à l’échec scolaire relève de l’ordre d’une « caricature pédagogique ». C’est pourquoi, il adopte une démarche qui propose « un objectif sociologique » et « mobilise les catégories des sciences sociales ».
Ainsi, son rôle va essentiellement consister à déconstruire d’un point de vue intellectuel les perceptions dominantes relatives aux enfants des familles immigrées et la sémantique qui s’y rapporte. L’un des éléments novateurs de ses réflexions concerne notamment l’analyse de cette population selon une perspective historique. C’est-à-dire qu’il appréhende les familles immigrées selon un double rapport historique : colonial et post-colonial.
Selon A. Sayad, c’est par les enfants que l’institution scolaire a pris connaissance des familles immigrées. La confrontation avec ces nouveaux publics a fourni à l’école qui vit « une crise morale » et des « incertitudes » une opportunité pour s’interroger sur son rôle, sa fonction et ainsi la légitimité de son action : L’école a trouvé dans l’immigration le lien et le motif pour révéler au grand jour les doutes qui l’habitent, écrit A. Sayad.
L’école et les familles immigrées entretiennent une relation caractérisée par de l’incertitude et « une mutuelle défiance ». Chez les familles immigrées, cette méfiance se manifeste à travers la vision que ces dernières ont de l’école et de son rôle à l’égard de leurs enfants. Leur connaissance de cette institution est le résultat d’une déception qui se transforme en suspicion voire en accusation. Car de leur point de vue, l’école a failli à son rôle puisqu’elles lui imputent la responsabilité de l’échec scolaire de leurs enfants et mettent l’accent sur son incapacité de répondre à leurs attentes qui selon A. Sayad « dépassent le cadre scolaire et concerne tous les domaines de l’existence de l’immigré, et en premier lieu, à son statut ».
Ainsi, l’école devient à leurs yeux un lieu de « perdition ». C’est également « l’école du diable ». Cette vision n’est jamais exprimée en public mais plutôt dans un cadre très intime : Le procès que les immigrés font à l’école est sévère et silencieux. Il n’est exprimé qu’en « aparté » il n’est parlé qu’entre partenaires « complices », c’est-à-dire les familles qui ont des enfants scolarisés, écrit A. Sayad.
Et afin de dissiper la méfiance entre l’école et les familles immigrées, il propose qu’une « mutuelle confiance » entre les deux parties soit rétablie afin que la scolarité des enfants soit menée à bien. Par ailleurs, en réfutant les approches ethnocentriques, il recommande un enseignement « spécifique » dispensé par « un personnel appartenant à l’éducation nationale ». L’objectif étant de mettre en garde contre la création d’un « enseignement ghetto » et de « relégation » d’une part. Et d’autre part, « la réduction populiste » voire la « folklorisation » des cultures de ces enfants.
Le mérite de A. Sayad est d’avoir tenté de mettre en lumière l’illusion entretenue, d’une part, par les familles immigrées qui se manifeste par « la fidélité à soi ». Et d’autre part, celle de la société d’immigration qui pensait que « cette fidélité pouvait être sauvegardée et perpétuée grâce à l’école ».
L’objectif principal du sociologue était de changer la nature des rapports entre l’école et les familles immigrées dans le but de restaurer la confiance et de faire en sorte que « l’élève découvre un intérêt nouveau et réel à l’école et au travail dans la société ».
Les textes de A. Sayad ont un double intérêt. En plus de nous permettre de re-découvrir les questions scolaires des années 1970/1980, ils viennent faire résonance aux problématiques scolaires actuelles et nous « offrent l’opportunité de réfléchir aux enjeux actuels », concluent les coordonnateurs dans la postface de l’ouvrage.
Nadia Agsous
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