L'aube noire, Mario Falcone
L’aube noire (Alba nera), traduit de l’Italien par Carole Cavalera, février 2013, 416 pages, 22 €
Ecrivain(s): Mario Falcone Edition: La Table RondeC’est un « livre-catastrophe », comme il y a des films-catastrophes. Mêmes ressorts : une marche inexorable vers une fin annoncée ; on accompagne plusieurs personnes ou groupes qui font partie du voyage ; un peu de tout, quelques héros, quelques salauds ; entre les deux, des métamorphoses qui peuvent être inattendues. Comme les films – les bons, du moins –, on lit à grandes lampées ; le transfert fait fortune ; on tremble si délicieusement à l’abri de nos couettes… remarquable produit à trouver son public, donc.
Mais, ce livre-ci relève encore d’autres espèces. La catastrophe est un événement historique bien réel – le tremblement de terre de Messine en décembre 1908 ; ville quasiment rayée de la carte ; morts et disparus par milliers ; les derniers chapitres balayent ces heures terribles à la façon d’un documentaire réussi, quartier par quartier, heure par heure. Les images télévisuelles du récent séisme d’Haïti font, en nous, comme une mémoire parallèle époustouflante : « une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze… la première secousse, terrible, dure trente et une secondes. Une éternité, qui transforme une ville de presque cent vingt mille habitants en un immense cimetière à ciel ouvert »… Du Pline Le Jeune, décrivant à Tacite l’éruption fatale de 79, s’invite, par à-coups, à notre mémoire…
L’intelligence de la construction du récit se double également d’une enquête policière – en amont du jour de cette « Aube noire ». Plusieurs meurtres s’enroulent, nous perdent – oserait-on dire, nous font patienter ; truands du Milieu sicilien déjà fortement parfumé de Mafia ; gens de l’aristocratie, perdus par le jeu et les femmes faciles ; petit peuple exploité, à la religion encore engluée dans la magie… la ville et ses quartiers, ses tavernes, ses palais sombres et décatis comme en connaît la Sicile… une atmosphère posée au long des pages, à petites touches imagées ; roman historique à la justesse remarquable. Rien que pour cela, la lecture s’impose.
Mais, il y a, nous accompagnant dans ce dépaysant voyage, quelque chose de plus, infiniment précieux : on ressent, comme un tissu constant doublant chaque page, les échos d’autres lectures, remontant loin en nos adolescences, même enfances ; on avait quel âge, quand, tous, nous lisions, passionnés, Les derniers jours de Pompéi d’Edward Bulwer Lytton ? Souvenez-vous, l’histoire un peu sirupeuse, certes, de Glaucus et Ione, le tuteur jaloux, les pièges finissant aux arènes ; le lion dévoreur de chrétiens, et, rôdant par dessus tout ça la menace ronflante du Vésuve préparant ses coups… eh bien, ces « derniers mois de Messine » ont le même fumet ; ils capturent, ils fabriquent du bon imaginaire ; on se retrouve avec les passions littéraires de l’enfance, et ce n’est pas rien !
C’est un carabiniéri intègre et tout en compétences policières qui mène le bal ; un Marco qui fume des américaines et se régale de spaghettis au poivre noir et aux poulpes… un qui ose secouer le lourd tissu social de sa ville et qui a – roman qui s’avale d’un trait, vous dit-on – sa bonne dose de peines de cœur… Mais on croise aussi des gamins des bas quartiers, des hommes mystérieux revenus d’Amérique. Les femmes – Italie du début de l’autre siècle oblige – sont en cuisine, ou au bordel ; quelques beaux portraits se tiennent fortement en fond d’écran… théâtre attachant qui dérive vers le néant. Allez jusqu’au bout pour savoir qui, d’entre eux, survivra dans les ruines fumantes.
Ne cherchons pas, par ailleurs, dans cette Aube noire, l’originalité, ni sans doute la perfection d’une écriture littéraire. Ici, on est dans un livre qui raconte, où l’histoire prend le pas sur l’écriture d’un registre classique, presque banal, d’un bout à l’autre. Falcone est d’abord un scénariste ; son livre en porte la marque.
Chacun, on l’aura compris, choisira dans ce livre aux multiples portes ce qui lui sierra. Il y a fort à parier que les prodromes du drame final, distillés en savantes pincées – dans un récit dont les chapitres portent simplement le nom des mois qui s’enchaînent –, auront la préférence de plus d’un d’entre nous :
« A l’approche de novembre, le mauvais temps arriva. La pluie se mit à tomber, mêlée d’un sable qui venait directement du Sahara. Quand elle cessa, remplacée par un sirocco tiède, une patine rougeâtre s’était déposée partout comme du sucre glace sur un gâteau… un tel phénomène n’était pas rare, mais, d’après les anciens, il annonçait toujours des malheurs… »
Si, vous n’avez pas encore fermé votre valise, trouvez une place pour ce livre là !
Martine L Petauton
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