L’Atelier de Philippe Desomberg, Carnets, Serge Meurant (par Didier Ayres)
L’Atelier de Philippe Desomberg, Carnets, Serge Meurant, éditions Amis de l’École des Arts, ASBL, 2019
Le poème, le corps, la sculpture
Avant d’en venir au contenu du livre lui-même, il faut décrire rapidement ce qu’il est comme objet. C’est un ouvrage au tirage limité, et qui est si je puis dire, un livre cru, dans le sens où il est juste broché, n’hésitant pas à rendre la reliure apparente, le tout imprimé sur un beau papier Conqueror vergé crème, au tirage limité et numéroté. Il accueille plusieurs artistes dont une photographe et cinéaste, un dessinateur et sculpteur, et un poète. Il faut donc avoir à l’esprit une brochure qui recueille des textes et des images. Et le tout sans prétention exagérée, en un recueil très sobre, presque nu disons. Est-ce l’influence des sculptures de Philippe Desomberg et la grande économie de moyens qui servent le poète Serge Meurant, et qui évoquent une forme de grâce de la forme, un moment suspendu entre image et texte ? est-ce l’influence du monde lithique et la « musique » de l’atelier qui obligent à une sorte d’approfondissement, d’appesantissement, de méditation en un mot, sur l’esthétique des œuvres ?
De cette façon, l’album fabriqué par l’École des Arts de Braine-l’Alleud, mérite bien ce sous-titre de Carnets, car ces pages sont vivantes d’un esprit nu et légèrement expérimental. Mû par un hasard objectif, j’ai fini, par ailleurs, le beau texte que Rilke consacre à Rodin. Je fus donc bien entraîné en cette divagation poétique, comme en une espèce de surplis de pierre.
D’un élan impassible,
jaillissent d’une source obscure,
les gestes nus
des sculptures.
On peut aussi aborder ces pages comme lors d’une lecture de Haïku, car il faut, je crois, lire deux fois chaque poème consécutivement, pour s’imprégner de l’univers du poète Serge Meurant, qui – qui sait ? – a peut-être procédé comme les artistes japonais qui regardent beaucoup et qui saisissent le poème en différé. Du reste, la sculpture dont il est ici question, elle aussi est sujette à interrogation : est-ce un mélange de Bourdelle et Giacometti ? ou une œuvre tirant vers l’art très abouti de Louise Bourgeois ? on ne peut décider. En tout cas, la peau de la pierre est striée, et se lisse dans l’éloignement de la vision générale. Donc l’action de voir produit de l’effet sur les statues.
Et, deuxième hasard objectif, j’ai revu hier Les Visiteurs du soir, film qui s’achève dans la pierre puisque les deux héros sont pétrifiés en statues, mais pas inertes, ce qui fait que le Diable, qu’incarne Jules Berry, est fort désappointé d’entendre le cœur battant des deux amants qui résonne malgré son envoûtement maléfique. Les poèmes qui s’associent parfois à des photogrammes de la cinéaste Francine D’Hulst, ont la qualité tout à fait particulière d’immobiliser la pulsion scopique, sur le bord de la forme, et ainsi taillent à leur manière la réalité aux dimensions de la statue observée.
La pierre te domine
c’est un corps
qui se refuse et se donne.
Sa dureté t’éreinte.
Elle te guide
en une danse immobile.
Vos gestes se répondent,
dans l’obscurité.
Pour résumer brièvement mon sentiment, je dirais que ce livre correspond à la recherche de la beauté, de la limite de l’œuvre d’art, de l’art et de la vie, de la création et de la réalité, de la contemplation méditative et du discours.
Didier Ayres
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