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L'art de la biographie. Entretien avec Ariane Charton

30.03.12 dans La Une CED, Entretiens, Les Dossiers

L'art de la biographie. Entretien avec Ariane Charton

 

« Une biographie, c’est avant tout laisser parler la personnalité et la replacer dans son temps de façon ordonnée et chronologique ».


Entretien avec Ariane Charton, biographe d’Alfred de Musset, de Debussy (Gallimard, collection Folio bio, 2010 & 2012), et de Marie d’Agoult (Editions Kirographaires 2011)

Spécialiste de l’époque romantique, Ariane Charton a par ailleurs établi l’édition de la correspondance amoureuse entre Marie Dorval et Vigny (Mercure de France, coll. Le Temps retrouvé). Elle est également l’auteur du Roman d’Hortense (Albin Michel, prix littéraire de la ville de Mennecy 2010) consacré à Hortense Allart, la dernière maîtresse de Chateaubriand, et d’une anthologie Cher papa, les écrivains parlent du père (J.-C. Lattès).


Son blog : Les âmes sensibles http://actualitte.com/blog/arianecharton/

Sophie Adriansen : Qu’est-ce qui vous a amenée à envisager d’écrire des biographies ?


Ariane Charton : Je me suis lancée dans la rédaction de biographies dans le but de faire découvrir au grand public des personnalités mal connues ou victimes d’opinions préconçues. Tel était aussi mon but en établissant l’édition de la correspondance entre Marie Dorval et Vigny, afin de rendre justice à l’actrice qui a été très importante dans l’existence de Vigny et a su l’aimer.

Certains documents devenus accessibles ou l’exploitation de documents négligés m’ont permis d’apporter des précisions ou des éclaircissements sur ces personnalités.

J’ai lu des biographies et continue à en lire : certaines très détaillées, d’autres qui sont davantage des essais biographiques où l’auteur, tout en s’appuyant sur des éléments précis, mène une réflexion personnelle, je pense notamment à celles d’André Maurois ou dernièrement au Charles Baudelaire clandestin de lui-même d’Isabelle Viéville Degeorges


Sophie Adriansen : Comment choisissez-vous les sujets de vos biographies ?


Ariane Charton : L’édition n’est pas un mécénat et l’aspect commercial compte de plus en plus dans le choix des textes publiés. Dès lors, il faut avoir des arguments pour faire accepter un projet. Les anniversaires par exemple sont une bonne occasion. Je cherche donc à m’adapter à l’actualité tout en choisissant mes sujets en fonction de mes affinités. Fin 2008, quand j’ai proposé d’écrire une biographie de Musset à Gérard de Cortanze pour la collection folio bio, j’ai pensé au bicentenaire de sa naissance et me suis dit que c’était l’occasion rêvée de pouvoir écrire sur cet écrivain que j’aimais particulièrement. De même en 2011 pour Marie d’Agoult et Liszt avec les 200 ans de la naissance du compositeur, ou Debussy dont on célèbre les 150 ans de la naissance cette année.

Toute l’époque romantique m’intéresse donc, a priori, il n’y a aucune personnalité que je ne voudrais pas traiter. Cela dit, même dans cette période que j’aime, je me sens plus d’affinités avec telle ou telle personnalité. J’aime bien Victor Hugo, mais on a déjà tant écrit sur lui et c’est un tel colosse que j’aurais dû mal à apporter quelque chose de nouveau et il m’écrase un peu. Sur Balzac, on a aussi beaucoup écrit mais je pense que je pourrais établir un dialogue avec lui et sans écrire une biographie stricto sensu, je pourrais écrire sur Balzac en choisissant un angle particulier.


 

Sophie Adriansen : Comment procédez-vous pour construire une biographie ?


Ariane Charton : J’étudie l’époque romantique depuis plus de 15 ans, j’ai donc accumulé des documents et des connaissances que j’utilise. Ensuite, le travail varie suivant le sujet et surtout les documents que j’ai à ma disposition, mais je m’efforce toujours de suivre l’ordre chronologique. Certes, j’ai une vision totale de la vie et l’œuvre de la personnalité choisie, mais j’essaye de ne pas extrapoler et de suivre son évolution pas à pas. Par exemple, pour Marie d’Agoult, j’avais déjà pris beaucoup de notes sur sa correspondance avec Liszt et ses mémoires. Quand j’ai repris ces notes en décembre 2009, je me suis lancée dans la rédaction en suivant l’ordre des lettres, des journaux intimes de la comtesse. Pour Debussy, j’ai lu un certain nombre de documents, notamment des témoignages de ses contemporains pour comprendre sa personnalité et son évolution générale puis, quand j’ai commencé à rédiger j’ai suivi le musicien à travers sa correspondance qui a été publiée en 2005. Pour Musset, j’ai déjà relu toute son œuvre dans laquelle on peut trouver de nombreux échos autobiographiques plus ou moins directs car Musset, s’il apparaît comme le modèle du poète romantique exposant son cœur en permanence est, en réalité, un être secret qui ne se révèle qu’à demi-mots. J’ai aussi utilisé sa correspondance bien qu’elle soit assez maigre, des témoignages des contemporains, des articles de presse.

A chaque fois, dès le début ou au cours de la rédaction, je découpe la vie en grandes périodes qui correspondent aux chapitres futurs. Parfois deux ou trois chapitres concernent la même période quand il s’agit d’un moment dense dans la vie du personnage ou que différents thèmes s’enchevêtrent.


Pour moi, une biographie, c’est avant tout laisser parler la personnalité, ses contemporains et la replacer dans son temps de façon ordonnée et chronologique. Bien sûr, il est impossible d’être exhaustif, surtout dans des livres qui n’excèdent pas 350 pages, et les choix du biographe apportent la touche de subjectivité. Par exemple pour Debussy, j’ai consacré un chapitre entier à sa relation avec Ernest Chausson qui en fait ne représente que deux ans dans sa vie, mais deux ans importants à mes yeux dans l’évolution de Debussy. Pour Musset, j’ai aussi consacré un chapitre à sa liaison avec Aimée d’Alton, parfois un peu oubliée. Cette dernière est moins essentielle dans l’œuvre de Musset que Sand, mais l’attitude de Musset avec elle révèle aussi une partie de sa personnalité et représente un moment heureux dans sa vie.


Sophie Adriansen : Quels sont les prérequis indispensables à la rédaction d’une biographie ?


Ariane Charton : Pour un écrivain, je pense que dans la mesure du possible il faut lire ou relire toute l’œuvre : bien sûr les textes d’ordre autobiographique mais aussi les autres. Pour Debussy, j’ai lu bien sûr sa correspondance et ses textes critiques sur la musique et écouté de nombreuses œuvres. La visite de lieux de naissance, de vie ou de musée, me paraît aussi indispensable. Je me documente aussi sur l’entourage proche de mon personnage. Par exemple, j’ai relu Béatrix, le roman de Balzac inspiré du trio Marie d’Agoult-Liszt-George Sand et j’ai lu des biographies et textes d’Ernest Chausson et Pierre Louÿs, proches de Debussy. J’aime lire aussi les périodiques de la période dont je traite : pour chercher des articles de presse relatifs à mon sujet, par exemple des critiques littéraires ou musicales, mais aussi sentir l’atmosphère de l’époque. La lecture de faits divers, de publicité, d’événements politiques permet de comprendre dans quelle ambiance évolue le personnage. De même les œuvres d’art, les scandales ou modes artistiques… Je crois que pour être à l’aise dans la rédaction d’une biographie, il faut déjà bien connaître la période traitée afin de parvenir à recréer l’atmosphère par exemple en rapportant une anecdote significative.


Sophie Adriansen : Comment parvenez-vous à trouver le juste équilibre entre les citations issues de vos recherches et votre propre récit ?


Ariane Charton : Je ne pose pas la question de l’équilibre, il me vient naturellement. Quand je relis, il m’arrive de couper quelques citations quand elles semblent redondantes par rapport à mon récit ou à d’autres citations ou pour recentrer la citation sur son sujet principal.

J’apprécie en tant que lectrice que les citations soient correctement référencées afin de pouvoir consulter facilement les documents cités, c’est ce que je fais aussi dans mes propres livres.


Sophie Adriansen : Comment parvenez-vous à rester dans l’objectivité et la distance vis-à-vis de votre sujet ?


Ariane Charton : On ne peut pas rester dans une totale subjectivité et il ne faut pas, autrement la biographie a une allure de catalogue d’événements rapportés comme des procès-verbaux.


Forcément j’interprète certains éléments en fonction de mes connaissances, du degré d’affinités que j’ai avec mon sujet, de ma sensibilité. Par exemple, pour Marie d’Agoult, je comprenais certaines de ses souffrances de femme amoureuse. Pour Musset, je comprenais qu’il se sente incompris par ses contemporains, si on en juge par les critiques littéraires qui paraissaient de son vivant. Cela dit, il n’est pas toujours évident de ne pas modeler son sujet suivant la façon dont on voudrait qu’il soit, il faut un peu se faire violence pour éviter cet écueil. Les citations permettent souvent d’éviter cette dérive : on est obligé de tenir compte de ces textes.

Une bonne biographie c’est autant fournir des informations claires et justes qu’arriver à coller à son personnage, au point d’avoir l’impression de passer ses journées avec lui, de penser à lui en dehors des heures d’écriture. Un écrivain comme Stefan Zweig n’a pas publié des biographies savantes et hyper documentées mais il est parvenu à brosser des portraits d’une grande justesse grâce à sa capacité d’empathie avec son sujet.


Sophie Adriansen : Quelles sont les difficultés que vous pouvez rencontrer dans l’établissement d’une biographie ?


Ariane Charton : La principale difficulté est l’absence de documents sur une période donnée : on est obligé de s’en tenir à des conjonctures et on a l’impression que le sujet vous échappe un peu. Pour Debussy par exemple il n’y a plus aucune lettre relative à son premier grand amour avec Marie Vasnier pour laquelle il a composé un très grand nombre de compositions. On sait que cette liaison a compté mais on ne peut pas en dire grand-chose. De même pour Musset, les quinze dernières années de sa vie sont pleines de trous : il n’écrit presque plus, on a peu de lettres, il meurt à petit feu.

L’absence de documents est frustrante certes mais le mystère fait aussi partie de la vie de chacun, et souvent les éléments détruits l’ont été par les personnes concernées, il faut respecter leur volonté. Lorsque la destruction est le fait d’un tiers, c’est plus regrettable même si cela peut parfois se comprendre.


Sophie Adriansen : Avez-vous une nouvelle biographie en projet ?


Ariane Charton : Non. Peut-être un jour écrirai-je sur Berlioz, Delacroix ou Astolphe de Custine, ce sont trois romantiques qui m’intéressent et me touchent. Ils ont en commun d’avoir su développer une œuvre personnelle (certes modeste pour Custine) tout en étant ouverts à tous les autres arts et à entretenir des liens amicaux profonds avec quelques-uns de leurs contemporains. Ils avaient aussi la capacité d’admirer et avaient une véritable exigence pour eux-mêmes.


Entretien mené par Sophie Adriansen


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