L’Arbre-Monde, Richard Powers (par Catherine Blanche)
L’Arbre-Monde, Richard Powers, Cherche Midi, septembre 2018, trad. anglais (USA), Serge Chauvin, 550 pages, 22 €
Une symphonie à la gloire de l’arbre fondateur. Pour thème, la déforestation et ses méfaits : un sujet fait pour me plaire. J’attaque donc ce livre avec un a priori favorable. De belles heures en perspective.
Eh bien, non, à l’arrivée, je suis flouée.
Au tout début, il y a cependant de grands moments et des idées prometteuses comme celle du jeune châtaignier qui sera photographié chaque année au même endroit, à la même date et sur plusieurs générations, par la famille Hoel. Cet arbre qui deviendra « arbre sentinelle » […], phare unique d’une mer gonflée de grain ».
Alors, l’écriture est fluide et l’on rentre bien dans la première histoire de cette famille d’émigrés Norvégiens. On commence à s’y attacher et voilà qu’il faut s’en extraire pour un autre personnage, un autre contexte, et cela neuf fois de suite. Neuf personnages vont ainsi défiler, chacun associé à une essence d’arbre [1].
Pourquoi pas. Belle idée. Bien que j’aie eu l’impression chaque fois d’une cassure qui m’obligeait à repartir à zéro.
Mais bon an mal an, dans les premières pages, il y a quelque chose qui vous tient. Par exemple, la description poignante et historiquement intéressante de la tragédie des forêts décimées. Celles de l’Est d’abord (les châtaigniers du Bronx). Un champignon en provenance d’Asie s’introduit dans le pays. « La mort traverse à grands pas le Connecticut et le Massachusetts. […] Les arbres succombent par centaines de milliers. Tout un pays regarde pétrifié les inestimables châtaigniers de Nouvelle-Angleterre disparaître du paysage ». Puis, le fléau gagne « l’arbre idéal de l’Amérique […], le séquoia de l’Est, souple et durable […], du Maine au golfe du Mexique ». Tous condamnés à mort.
Et un peu plus loin : « Les châtaigniers du Nord étaient majestueux. Mais ceux du Sud sont des dieux. Ils forment des colonnades presque parfaites sur des kilomètres d’affilée. Dans les Carolines s’élèvent des troncs plus vieux que l’Amérique, de trois mètres de large et quarante de haut. Ils fleurissent par forêts entières en nuages de blanc ondulant. Des dizaines de communautés montagnardes se sont construites grâce à ce bois magnifique au grain bien lisse. Un seul arbre suffit à fournir jusqu’à quatorze mille planches. Les réserves de nourriture qui pleuvent à hauteur de mollet nourrissent des comtés entiers, et chaque année est une année record.
Et voilà que les dieux sont mourants, tous autant qu’ils sont. Toute la force de l’ingéniosité humaine ne peut contenir le désastre qui ravage le continent. Le fléau court le long des crêtes, abat pic sur pic […] Dès 1940, le champignon a vaincu, conquis les forêts les plus lointaines du sud de l’Illinois. Quatre milliards d’arbres de l’espèce indigène s’évanouissent dans le mythe ».
Pourquoi suis-je flouée ?
La cause des arbres n’a pas été bien servie par l’écriture de Powers.
Au fur et à mesure que l’on avance dans le récit, l’écriture devient plus chargée, plus lourde. Ampoulée :
« Elle a une brève vision d’or fulgurant » (p.215).
« Des cercles de lichen vert pâle les éclaboussent en palette. Elle se tient dans cette chambre blanc gris à colonnade, vestibule de l’au-delà. L’air frisonne d’or… » (p.148).
Et encore : « la voiture est peuplée d’êtres de lumière. Ils sont partout, insoutenables de beauté. Ils pénètrent et traversent son corps. Ils ne la grondent pas d’avoir oublié le message qu’ils lui ont transmis. Ils se contentent de l’en réinfuser. Sa joie de les voir de retour déborde et elle fond en larmes. Ils ne prononcent pas des ils. Ils font partie d’elle, ils sont de son sang, d’une façon encore obscure. Des émissaires de la création : des choses qu’elle a vues et connues en ce monde, des expériences oubliées, des bribes de savoir négligées, de branches coupées de sa famille qu’elle doit retrouver et raviver. Mourir lui a donné des yeux neufs » (p.181).
Et ça sur 500 pages…
Des phrases saturées. Nous sommes aux antipodes du style d’un Shelby Foote ou d’un Cormac McCarthy.
Je me suis sentie encombrée par cette écriture, je ne sais pas comment dire, et même, dans les dernières pages, aux confins de l’écœurement. Tellement bien que je n’arrive plus à avancer. Je patine, je m’accroche, je veux finir quand même. Mais sur le flanc, n’en pouvant plus et n’ayant qu’une hâte : passer à autre chose !
Un propos très ambitieux. Une architecture impressionnante (les 9 récits-racines, le tronc qui les rassemble, la cime et les graines pour leurs évolutions personnelles). Quel déploiement ! Mais à l’arrivée… Dans quel état suis-je !
Cela se veut d’un souffle exceptionnel, mais l’océan de mots accouche d’un marigot.
Et maintenant, quand je me replonge dedans, à n’importe quelle page, j’ai une réaction violente de répulsion, comme une sorte d’allergie ! Je ne supporte plus.
Richard Powers a reçu pour ce roman le prix Pulitzer 2019 et une pluie de louanges de la Presse.
[1] Bien sûr, le nombre neuf des neufs personnages principaux n’est pas choisi au hasard puisqu’il renvoie, sans que cela soit dit, aux neufs mondes de la mythologie nordique avec son arbre Yggdrasil ; et aux neuf branches et neuf racines de Jian-Mu, l’Arbre du Monde chinois. Les noms de ces arbres mythiques Yggdrasil, Jian-Mu mais aussi Asvattha, l’Arbre du Bien et du Mal sont lâchés dans le récit… cela fleure bon le syncrétisme. Et puis, le neuf, c’est aussi l’Accomplissement, la fin d’un cycle… L’achèvement et le retour à l’unité. New Age, le grand retour ?
Catherine Blanche
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