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L’année de Richard suivi de Mais comme elle ne pourrissait pas… Blanche-Neige, Angelica Liddell

Ecrit par Marie du Crest 13.02.14 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Théâtre, Les solitaires intempestifs

L’année de Richard suivi de Mais comme elle ne pourrissait pas… Blanche-Neige, traduction de C. Vasserot , 94 p. 13 €

Ecrivain(s): Angélica Liddell Edition: Les solitaires intempestifs

L’année de Richard suivi de Mais comme elle ne pourrissait pas… Blanche-Neige, Angelica Liddell

 

L’autre trilogie : Actes de résistance contre la mort

De Schneewittchen à Blancanieves

 

Y como no se pudriò… Blancanieves est une courte pièce composée de 8 scènes, publiée en Espagne en 2007, faisant partie de la trilogie d’A. Liddell avec l’année Richard et Et les poissons partirent combattre les hommes. Dans l’édition française des Solitaires Intempestifs, elle fait suite à la pièce dont le personnage central est un avatar de Richard III. Comme dans d’autres textes, l’auteure revient à l’enfance, point de fracture entre innocence et plongée dans le Mal. E comme enfant selon son abécédaire :

« Je n’ai pas connu un seul enfant qui soit devenu un bon adulte ».

Dans ce texte-ci, elle fonde sa propre parole au cœur de la littérature de l’enfance par excellence : le conte de fées est texte fondateur. Elle revient aux frères Grimm. Pour elle, le conte ne saurait être mièvrerie ou fantaisie douceâtre, bien au contraire comme le redit le texte (p.89, scène 3), il est l’apprentissage du Mal. Le titre de la pièce introduit une dimension morbide. La jolie héroïne ne repose pas dans le cercueil de verre, endormie. Elle est décrite ici selon un processus organique (la putréfaction) même réfuté. La pièce en vérité se constitue de manière binaire :

Le titre oscille entre minuscules et majuscules : Mais comme elle ne pourrissait pas…/ BLANCHE-NEIGE. L’écriture de Liddell « travaille » celle des frères Grimm. Deux personnages : un soldat, coryphée et la petite Blancanieves, protagoniste prennent successivement la parole sans qu’il s’agisse véritablement d’un échange de répliques faisant avancer une intrigue. La reine marâtre du conte est la guerre elle-même (p.78) :

Les guerres sont comme les marâtres perverses. Elles veulent toutes être la plus belle

A. Liddell détourne l’épisode célèbre du texte allemand, celui de la poursuite par le chasseur dans la forêt de Schneewittchen qu’il doit tuer pour satisfaire la reine. Le souvenir poétique de l’épreuve est repris par Liddell dans un passage assez long p.78 : « j’étais seule dans cette immense forêt… ». Le lecteur retrouve alors l’évocation des feuilles des arbres, des pierres tranchantes qui blessent les pieds de l’enfant, les épines ou encore les bêtes sauvages qui la menacent. Dans le conte, au bout de sa course, elle gagnera la maison rassurante des sept nains ; dans la pièce, Blancanieves verra (p.79) des « choses, horribles, horribles » : des femmes pendues. La figure du prince charmant, quant à elle, bascule du côté de celle d’un soudard au physique peu avenant : « occupé à engraisser sa couenne de lard » qui a enrôlé une armée de petites filles. La pièce inscrit son décor dans celui de la guerre et de la mort mais d’une guerre terrible menée contre les enfants :

« On était arrivé à la conclusion que le massacre des innocents était le meilleur système pour fragiliser le moral de l’adversaire ».

Blancanieves interroge ce monde de déraison et de violence absolue (les 7 questions de la scène 2). Et le soldat ne peut que redire les Misères, celles qu’Aubigné peint dans les Tragiques : les chevaux morts, les épidémies, les blessures, les vers qui attaquent les cadavres, les urines que les survivants boivent, le viol de l’héroïne (p.84) et sa désespérance, répétée sept fois comme en écho maléfique au nombre des petits compagnons du conte : « Comment puis-je rester la même avec cette douleur ? ». Ce qui est encore plus tragique dans la pièce, c’est le transfert du Mal. Les victimes se font bourreaux. Blancanieves devient à son tour meurtrière : « Et maintenant, j’allais être encore meilleure tueuse ». La voix off qui  retentit à la fin de la pièce annonce la mort des enfants qui refusent le combat ou s’endorment comme le fait Blancanieves. Le texte théâtral s’achève sur l’image de ce sommeil en pyjama des deux personnages pour laisser l’Histoire imposer sa terreur avec sur une page blanche ces quatre mots en capitales :

BESLAN, 171 ENFANTS MORTS

La dramaturgie de Liddell re-présente le monde, celui des crimes les plus sauvages. Les évènements de Beslan sont récents, proches de la date de rédaction : ils ont eu lieu en septembre 2004 en Ossétie du nord. Des enfants pris en otages par des Tchétchènes dans l’école numéro 1 ont subi trois jours durant un siège terrible, souffrant de la chaleur, devant se dénuder, condamnés à boire leurs propres urines afin d’étancher leur soif, avant de mourir pour grand nombre d’entre eux. Ces quelques mots nous ramènent à la métaphore construite par le texte de la pièce, un peu à la manière d’une œuvre plus tardive de l’auteure, avec l’imbrication du massacre d’Utoya et de la figure de Wendy tiré de Peter Pan. A. Liddell écrit ainsi le théâtre du monde, de notre inhumaine humanité.

Le texte de la pièce a donné lieu à des mises en scène dont celle de la Compagnie des Flagrants désirs (Albi) en 2013 et à celle de la compagnie Maskantête (Marcq-en-Barœul) la même année et en janvier 2014.

 

Marie Du Crest

 


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A propos de l'écrivain

Angélica Liddell

 

Angélica Liddell naît en 1966 à Figueres en Espagne. Elle crée la compagnie Atra Bilis Teatro en 1993, à Madrid, à partir d’une expression latine que la médecine antique utilisait pour qualifier l’humeur épaisse et noire qu’elle pensait être la cause de la mélancolie. Artiste, auteur, metteur en scène et interprète de ses propres créations, Angélica Liddell a des mots d’une poésie crue et violente. Elle se définit comme une «résistante civile», guidée par la compassion, l’art de partager la souffrance. En écrivant sa douleur intime dans ses spectacles, elle écrit celle des autres comme dans ‘Et les poissons partirent combattre les hommes’ (écrit en 2003), où c’est la douleur d‘immigrés clandestins qu’elle met en scène ou dans ‘Belgrade’ écrit en 2008. ‘La casa de la fuerza’ est la performance qui la révèle au public français en 2010 au Festival d'Avignon où elle se meurtrit sur scène. Loin des circuits habituels, elle amène de nouvelles créations, ‘Todo el cielo sobre la tierra’ et ‘Ping Pang Qiu’ au 67ème Festival d’Avignon en 2013.

 

 

A propos du rédacteur

Marie du Crest

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Rédactrice

Théâtre

Marie Du Crest  Agrégée de lettres modernes et diplômée  en Philosophie. A publié dans les revues Infusion et Dissonances des textes de poésie en prose. Un de ses récits a été retenu chez un éditeur belge. Chroniqueuse littéraire ( romans) pour le magazine culturel  Zibeline dans lé région sud. Aime lire, voir le Théâtre contemporain et en parler pour La Cause Littéraire.