L’Anneau de Chillida, Marilyne Bertoncini (par Philippe Leuckx)
L’Anneau de Chillida, L’Atelier du Grand Tétras, mai 2018, 80 pages, 13 €
Ecrivain(s): Marilyne Bertoncini
« Mes anneaux de souvenance » guident le lecteur vers le centre de l’entreprise poétique de Marilyne Bertoncini, vouloir dans l’esprit d’une « genèse » de soi, rameuter comme le ferait l’éclair de magnésie les ombres et les profils, et les reliefs de ce qui s’est perdu. Ainsi en va-t-il de Leyla, lors d’une quête insensée. Ainsi en va-t-il des marques de l’été, au coin des terrasses, pour s’appesantir sur les moindres changements, tropismes de l’âme de celle qui peut écrire :
Le matin s’avance masqué dans l’ombre
des nuages
Lente l’aube s’étire dans les ramures grises (p.46)
Sans doute faut-il faire confiance aux mots (« les mots devaient naître », p.40), sans doute faut-il décrire, à mots simples et précis, « l’éclat sourd des mûres » ou « Le soir/ après le festin des guêpes/ il ne restait que la fine résille en pointe grise/ de l’aile impalpable ».
Il faut, coûte que coûte, que le mot « ourdi » puisse contrevenir à l’usure du monde, à l’usage rétréci de la matière à souvenance. De belles atmosphères de méridienne dérogent à l’anneau qui fermerait, parfaite rotondité, mais parcours sans fin : avec les arbres, avec les fruits, et l’odeur même des étés, la poète entretient, entre Nice et Parme, les jardins d’une enfance, ceux-là qui ne finissent jamais de nous troubler, constitutifs des mots qui naissent à les ressusciter, le temps d’un poème :
La paix soyeuse du jardin
t’enveloppe de son aile
dans le couchant qui vibre
la cime des arbres
Il est souvent question de « rêves des morts » comme on le ferait d’un « chien (qui) bavait à ses côtés », fidèle survivance pour combattre le froid, fidèle serviteur des moments tristes. Et de « fête foraine », qui, mélancoliquement, « tourne/ avec l’astre nocturne de la grand-roue ».
Le temps des balançoires et des places de fête revient, lancinant et prenant, dans cette élégie douce, pleine d’ombres et de gestes.
Un très beau livre.
Illustration de couverture par Sophie Brassart. Chillida est un sculpteur espagnol.
Philippe Leuckx
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