L’amour harcelant, Elena Ferrante (par Sylvie Ferrando)
L’amour harcelant, Elena Ferrante, février 2020, trad. italien, Jean-Noël Schifano, 224 pages, 5,30 €
Edition: Folio (Gallimard)
Nous découvrons le premier roman d’Elena Ferrante, paru dans les années 1990, bien avant la tétralogie L’Amie prodigieuse qui a fait le succès de l’auteure. Ce roman de la jeunesse et de la filiation explore très classiquement les relations qu’une fille a entretenues avec sa mère récemment décédée. Delia met au jour le passé quelque peu trouble de sa mère Amalia, découverte noyée dans la baie de Naples, en sous-vêtements, avec une valise et un sac à mains contenant du linge féminin. A l’enterrement et dans les jours qui suivent, Delia reprend contact avec quelques-uns des personnages qui ont peuplé la vie d’Amalia. Les souvenirs napolitains se ravivent : les rues, les boutiques, le funiculaire, la plage, les restaurants et hôtels, la langue dialectale. Qui est ce Caserta, qui semble avoir exercé une influence plutôt néfaste sur Amalia, allant jusqu’à la violence ? L’oncle Filippo, frère d’Amalia, est-il si bienveillant qu’il en a l’air ? Que cache Polledro Antonio, gérant du magasin de vêtements Vossi ? La veuve De Riso révèlera-t-elle à Delia un pan des relations conflictuelles entre son père, artiste-peintre, et sa mère ? Delia mène l’enquête, cherchant à se fondre dans le passé de sa mère, fascinée par ses recherches, traquant la jeunesse enfouie sous les visages et les comportements parfois lubriques des vieillards, rencontrant les enfants des « amis » de sa mère, devenus adultes et mûrs.
Les pérégrinations de Delia ont des couleurs, des formes et des odeurs, ils sont pétris de sensations et d’impressions fugaces. L’effet de réel y est bien présent, mais il est personnalisé : « Plus ou moins indemne, je m’arrêtai pour considérer les façades des grands hôtels alignés le long du flux féroce des voitures. Chaque ouverture de ces édifices était orgueilleusement fermée contre le bruit de la circulation et de la mer ». Telle un personnage muet, Naples la populaire tient dans le roman une place de choix : « Sous le passage, Amalia avait été suivie par des désoeuvrés, des marchands ambulants, des cheminots, des maçons qui mordaient des miches de pain fourrées de brocolis et de saucisses ou buvaient du vin au goulot des fiasques ».
La narratrice a vingt-six chapitres pour traquer la vérité, dans cette langue souple et sinueuse qui est le propre d’Elena Ferrante, si bien mise en valeur par la traduction de Jean-Noël Schifano : « Dans le chaos de la via Salvator Rosa qui nous immobilisait, je découvris que je n’éprouvais plus aucune sympathie pour la ville d’Amalia, pour la langue dans laquelle elle s’était adressée à moi, pour les rues que j’avais parcourues jeune fille, pour les gens ». L’amour harcelant, fantasque et parfois decevant, d’une mère pour sa fille, mais aussi celui d’une fille pour sa mère, est immortel.
Sylvie Ferrando
Elena Ferrante (pseudonyme), née en 1943 à Naples, est une romancière italienne. L’Amour harcelantest son premier roman, paru en 1992 et qui a obtenu le Prix Oplonti et le Prix Procida Elsa Morante. De 2011 à 2014 paraissent les quatre volumes du cycle L’Amie prodigieuse : L’amie prodigieuse (2011), Le nouveau nom (2012), Celle qui fuit et celle qui reste (2013) et L’enfant perdue (2014). Cette saga a obtenu un grand succès au Royaume Uni, aux Etats-Unis et en France.
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