Souffles - L’amour aux temps de Daech
Tous et toutes, depuis notre adolescence, depuis notre première lecture, nous étions ensorcelés par cette fabuleuse histoire d’amour entre Qays et Leïla. Et nous le sommes toujours, éblouis par cet amour bercé dans de la belle poésie libre et libératrice, dans la fidélité. Dans la folie, une folie tant rêvée et souhaitée par nous tous et toutes. Aimer à la folie dans la terre d’Islam, est un miracle ! Mais osons-nous parler d’amour en ces jours de Daech, en ce temps du nouveau khalifat islamique qui n’a d’adoration qu’aux têtes décapitées, qu’aux femmes enlevées, qu’aux filles violées, qu’aux villes brûlées ? Le temps du cataclysme ! Les quelques biographes de Qays ibn El Moulaoueh (645-688), majnoun Leïla, ont rapporté que ce dernier, pieds nus, suivait sa bien-aimée jusqu’à la Kaâba, la maison d’Allah. Sur ses traces, en accomplissant son devoir de pèlerin, priant Allah, à l’heure du Tawaf, le suppliant de lui indiquer le chemin qui le conduit vers la rencontre de Leïla. Aux temps de Qays, la maison d’Allah était le lieu où la fusion fut complète entre l’amour du Dieu et celui de la bien-aimée. Jadis, l’Islam, par sa spiritualité profonde, par sa tolérance civilisationnelle représentait un refuge réconfortant et émouvant pour les amoureux.
La religion était vaste et tolérante ! Il fut la religion de Ibn Arabi, de Qays, de Abou Nouas, de Bachar Ibn Bord, d’El Maâri et de Ibn Timya… Mais pourquoi est-ce que je raconte cette histoire du majnoun aux temps de Daech ? Les biographes de Qays majnoun Leila ont rapporté qu’après le refus du père de Leila de marier sa fille à son cousin Qays, sans boussole, n’ayant dans la bouche que le nom de sa bien-aimée Leïla, ce dernier errait dans les déserts de Nadjd et d’El Hedjaz ! Une fois mariée à un autre homme, Leïla a déménagé du quartier de son enfance où elle a partagé ses meilleurs et ses beaux jours avec Qays. Fuyant ses souvenirs, elle s’installe à Taef, une lointaine cité. N’arrivant pas à éteindre les flammes dans son cœur ni à soulager ses souffrances, Qays a décidé de suivre sa bien-aimée, jusqu’à la fin du monde. Arrivé au quartier de Leïla, les habitants se sont rassemblés autour de Qays, devant les tentes, ils ont allumé un grand feu. Parmi les présents se trouvait le mari de Leila. Qays a reconnu le mari. Autour du feu, un bon feu, dans un état de transe, de folie, en forme de vers ardents, Qays a demandé au mari : êtes-vous l’homme qui embrasse Leïla sur les lèvres ? Êtes-vous l’homme qui tous les matins se réveille, tous les soirs s’endort avec à ses côtés le corps parfumé de Leïla ? Êtes-vous l’homme qui chaque jour regarde la couleur des yeux de Leïla ? Et le mari de Leïla, sur un ton calme, a répondu : Oui. En écoutant cette réponse, Qays a crié haut et fort tout en fonçant ses deux mains dans les braises en prenant deux poignées : Leïla !! Les mains brûlées, le cœur embrasé, Qays s’est enfoncé dans le désert des déserts pour y retrouver, quelques jours après, la mort, enseveli dans quelques vers et dans le sable chaud. Mais pourquoi est-ce que je vous raconte cette histoire du majnoun aux temps moroses de Daech ? Si cette belle histoire d’amour entre Qays et Leïla a marqué les musiciens, les cinéphiles, les écrivains, les lecteurs, cette histoire immémoriale a vu le jour dans un pays qui aujourd’hui s’appelle : l’Arabie saoudite. Première terre d’Islam. Où, jusqu’au jour d’aujourd’hui, les femmes, les arrière-petites-filles de Leïla, sont interdites de conduire une voiture !
Amin Zaoui
"Liberté", Alger
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