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L'ambition ou l'épopée de soi, Vincent Cespedes

Ecrit par Marjorie Rafécas-Poeydomenge 17.02.15 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Flammarion

L'ambition ou l'épopée de soi, octobre 2013, 312 pages, 19 €

Ecrivain(s): Vincent Cespedes Edition: Flammarion

L'ambition ou l'épopée de soi, Vincent Cespedes

 

En ces temps de crise et de défiance, L'ambition ou l'épopée de soi est une excellente thérapie livresque pour se remettre en selle. Une invitation à sortir de soi.

Avouons qu'en France, l'ambition est un mot tabou avec une connotation très paradoxale. Comme le souligne l'auteur, "Qualifier un individu d'ambitieux est une attaque sournoise mais le sans ambition est une insulte". Nous nous laissons bien trop souvent influencer par ceux qui voient "l'ambition comme une forme de névrose. Une infirmité qui consisterait à ne pas se satisfaire de celui que l'on est". Le monde a pourtant besoin d'ambitieux pour avancer et se remettre en question. D'ailleurs, la philosophie par ses questions dérangeantes n'est-elle pas une forme d'ambition ? "L'ambitieux nous désécurise sans le vouloir, nous fait ouvrir les yeux. Il déconfortabilise, relance le questionnement que trop de satiété tarit". Alors pourquoi se priver de cette énergie grisante ?

Vincent Cespedes rappelle que Fourier écrivait que pour avoir une vraie démocratie il faut une libération de l'ambition. Certes, mais comment devient-on ambitieux ? Le célèbre tube des Rolling Stones "I can't get no satisfation" peut nous mettre sur la piste. En effet, les parents satisfaits de leur vie ne font guère d'ambitieux, "car l'ambition marche à l'insatisfaction tutorale". "Dans un pays médiaticomonarchique comme la France, on pense au système des fils et des filles de", ces progénitures clonées." Vincent Cespedes les appelle ironiquement les "ectoplasmes". "L'ectoplasmie de la bourgeoisie mériterait une vaste étude à elle (...). Car c'est elle qui est la principale responsable de la montée des incompétences aux postes de décision. C'est elle aussi qui aggrave la vacuité de l'art contemporain, et plus généralement de la culture bourgeoise de masse." L'auteur s'en prend donc violemment aux héritiers et au piston, un système qui tue à petit feu l'ambition, la vraie.

Mais attention toutes les ambitions ne se ressemblent pas. Il y a l'ambition par émulation et celle nourrie pas la rivalité. A travers l'exploration des différents profils d'ambitieux comme les savants, artistes, chanteurs, sportifs, écrivains, navigateurs, philosophes, entrepreneurs et politiques, Vincent Cespedes fait sans cesse référence à 3 styles d'ambition :

- CQFD : ambition démonstrative. Hélas + mépris/hostilité = CQFD (ambition névrotique, but : davantage de pouvoir)

- CQFE : ambition expressive. Hélas + amour/admiration = CQFE (ambition exhilare, but : davantage de puissance)

- CQFC : l'ambition refoulée, dont le "club des 27" en est le parfait exemple (les rockers décédés à l'âge de 27 ans). Hélas + culpabilité = CQFC (ambition refoulée, but : davantage d’impuissance.

L'ambition expressive, étant bien sûr la plus noble et la plus humaniste des trois.

Enfin, être ambitieux, c'est aussi ne pas avoir peur de l'échec. Aller même à sa rencontre de façon volontaire. Car comment réussir si on n'a pas essuyé quelques échecs au préalable ? Est-ce la réussite qui nous pousse à être meilleur ou au contraire nos échecs ? Pour illustrer l'importance de l'échec dans la construction de l'ambition, l'auteur donne l'exemple de la créatrice américaine de la marque "Spanx", Sara Blakely. Le père de Sara avait un rituel pendant le dîner qui consistait à demander à sa fille et son fils leurs non-succès de la semaine : "Quelles choses vous n'avez pas réussies cette semaine ?". Ne rien trouver n'était pas apprécié. En revanche, citer un échec donnait droit à un "give me five". Comme l'explique Vincent Cespedes, "Il s'agit d'une inversion méthodique de la honte de perdre - honte engendrant un stress chronique, préconisé par les éducations anti-ambitionnelles qui sécurisent les démocraties de sélection (en France notamment)".

Derrière ce livre, vous l'avez compris, Vincent Cespedes cherche in fine à dénoncer le mal français, trop d'éducation anti-ambitionnelle, trop d'ectoplasmes et de platitudes, et surtout la peur de l'échec. Mais, attention vous n'y trouverez pas de mode d'emploi pour devenir ambitieux. Il ne s'agit pas de l'un de ces livres de coaching avec recettes toutes faites dont raffolent les américains. Non, il s'agit d'un livre à lire avec ses tripes.

 

Marjorie Rafécas-Poeydomenge

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A propos de l'écrivain

Vincent Cespedes

 

Philosophe né en 1973, Vincent Cespedes est l’auteur de nombreux ouvrages, dont notamment Mélangeons-nous. Enquête sur l’alchimie humaine (Maren Sell, 2006), Magique étude du Bonheur (Larousse, 2010) et L’Homme expliqué aux femmes. L’Avenir de la masculinité (J’ai Lu, 2012). Penseur engagé dans son époque, Vincent Cespedes intervient dans les mondes de la santé, de l’éducation et de l’entreprise, où ses conférences, ancrées dans les problèmes réels, détonnent par leur style passionné et leur modernité.

 

A propos du rédacteur

Marjorie Rafécas-Poeydomenge

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Passionnée de philosophie et des sciences humaines, l'auteur publie régulièrement des articles sur son blog Philing Good, l'anti-burnout des idées (http://www.wmaker.net/philobalade). Quelques années auparavant, elle a également participé à l'aventure des cafés philo, de Socrate & co, le magazine (hélas disparu) de l'actualité vue par les philosophes et du Vilain petit canard. Elle est l'auteur de l'ouvrage "Descartes n'était pas Vierge".