L’Alphabet du monde, Amedeo Anelli (par Philippe Leuckx)
L’Alphabet du monde, Amedeo Anelli, juin 2020, trad. italien, Irène Duboeuf, 54 pages, 10 €
Edition: Editions du Cygne
Le poète sismographe (c’est lui qui l’assume dans un de ses poèmes) transfigure la nature, les brumes, l’air, la neige en images métaphysiques du silence, de la patience.
Que de « brumes » pleurantes dans ces poèmes qui suintent la terre boueuse, l’attente grasse, le fleuve qui imprègne, les paysages meurtris par l’hiver. Que de sens de la nature en lente métamorphose, qui prête givres et coulées à notre réflexion.
Anelli n’est pas si éloigné de Pavese, sur des terres un peu différentes, cet éclair de conscience lucide sur le réel ambiant.
Redessiner le monde en « contrepoints », où l’enfant, la mère, les terres familières énoncent leur position, que le regard embrasse, sans presque de nostalgie, mais selon une phénoménologie patiente : il est si difficile de dire le nom du silence, d’épeler les terres qui perdent leur matité, leur contour. Le poète, lui, sait que son univers est là, dans une attention minérale et végétale :
La route entre les fossés
parmi les champs de terre grasse et les chaumes
couverts d’eau (p.28)
Les oliviers sont des formes flexibles
en mouvement
des racines jusqu’aux feuilles
des nutriments à la lumière
dans la solitude séculaire (p.36)
Sans doute, le poète lombard a-t-il raison de porter à la généralité « séculaire » le propre réel de ses paysages, grevés d’eau.
L’air, comme peu le disent, trouve ici de nombreuses déclinaisons, même quand il est raréfié ou hivernal il a prégnance de toujours. Un air natal qui me fait penser très fort au tout premier film néo-réaliste, Gente del Po, d’Antonioni (1942).
C’est dire la haute qualité de ces poèmes transis d’être et de pluie.
C’est dire la beauté « séculaire » de ces textes sur la nature que chacune, chacun peut ressentir au plus profond.
Un très beau recueil, magnifiquement traduit.
Philippe Leuckx
Amedeo Anelli est un poète italien, né en 1956, il vit en Lombardie, à Codogno. Il est l’auteur, entre autres, de Neve pensata (récemment traduit en français), 12 poesie da Acoluthia.
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