L’Algérois, Éliane Serdan (par Jean-François Mézil)
L’Algérois, mai 2019, 148 pages, 15,90 €
Ecrivain(s): Eliane Serdan Edition: Serge Safran éditeurIl y a quelque chose de proustien dans la tonalité de ce roman : même si la phrase est courte, elle reste à fleur de peau.
Quelque chose aussi de Giono par le cadre : celui d’une Provence, aride et mythique.
Mais, bizarrement, c’est au prologue de l’Antigone d’Anouilh que j’ai très vite pensé, tant la logique de ce livre est celle d’une tragédie antique :
Voilà. Ces personnages vont vous jouer l’histoire de l’Algérois.
Marie Guérin, c’est la petite maigre, « les yeux tournés vers cet ailleurs de la mémoire » qui ressurgit bien malgré nous. Elle pense qu’elle va mourir : « mes jours sont comptés ». Elle sait que « pour aimer, il faut être vivant ». Or « les fantômes ont pris la place des vivants ». Elle se dit que sa vie est sortie de son lit et coule à côté vers le « pays des morts ». Elle tient, dans sa main, une lettre qu’elle vient de trouver dans sa boîte et qu’elle hésite encore à décacheter ; elle attend la nuit pour s’y résoudre, « ouvrir une brèche » et plonger en arrière – le jour de ses dix-sept ans, en 1962.
Celui qui a écrit la lettre (« dès le premier coup d’œil, j’ai reconnu ton écriture »), c’est Simon Allegri. Il brise ainsi le long silence qui a suivi la « fracture ». Lui et Marie étaient amoureux, comme on pouvait l’être à l’adolescence en ces années maintenant lointaines. Nous sommes un jour de septembre, dans la cour d’un lycée. Simon bavarde avec un jeune homme, « grand, mince, une mèche de cheveux blonds tombant sur le front ».
Le jeune homme avec qui parle Simon, c’est Jean Lorrencin. Il a fui l’Algérie où son père a été assassiné. Vous le trouvez beau comme un ange… Approchez-vous : vous verrez « dans son regard une souffrance incitant à aller vers lui sans méfiance ».
Cet homme « grand, maigre, toujours vêtu d’un costume foncé et d’une chemise blanche », qui se déplace « à la manière d’un chat », c’est Paul Boisselet, le bibliothécaire. Il a des rides, il est fatigué. Il s’est pris d’affection pour Marie, au contraire de Jean dont les idées fascistes le révulsent.
Ce garçon pâle, là-bas, qui rêve adossé au mur, c’est Pierre, l’ami fidèle et discret. C’est lui qui donnera à Simon l’adresse de Marie pour qu’il puisse lui écrire.
Et maintenant que vous les connaissez tous, ils vont pouvoir vous jouer leur histoire.
Une histoire en trois actes :
– La réponse de Marie à la lettre de Simon
– Le journal de Paul Boisselet
– La lettre de Simon.
Une histoire sur fond d’Algérie française, de réseaux d’extrême-droite et de groupuscules communistes…
dans un village, Brovès, appelé à disparaître, suite au projet du camp militaire de Canjuers…
et où les choses se font (et se défont) comme dans un rêve : « Je l’ai laissé m’allonger sur le lit, me parler, me caresser, comme si rien ne pouvait me surprendre » ; « si ce n’était le sang sur les draps, j’aurais presque douté des événements de la nuit ».
Histoire de quelques mois, à l’aune d’une vie : « Depuis ces jours lointains où tout a basculé, j’ai eu l’air d’être là mais ce n’était plus moi ».
Récit d’un amour manqué : « j’ai maintenant la certitude que nous aurions été heureux » ; « d’un paradis perdu […] de l’autre côté de l’enfance ».
Chacun va jouer son rôle jusqu’au bout. Un rôle qu’ils n’ont pas appris, mais qu’ils devinent (« la sensation d’une fêlure ») : « Peut-être sans le savoir, dans ces moments où le bonheur était si proche, avais-tu pressenti qu’il n’y aurait pas d’autre été ».
Jean-François Mézil
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