L’Âge de l’innocence, Edith Wharton (par Guy Donikian)
L’Âge de l’innocence, Edith Wharton, Les Belles Lettres, 2019, trad. anglais (Etats-Unis) Sarah Fosse, 453 pages, 15,50 €
Ecrivain(s): Edith Wharton Edition: Les Belles Lettres
C’est en 1920 que paraît ce roman qui obtient le Prix Pulitzer en 1921. L’autrice, Edith Wharton, entend répondre à son mentor, Henry James, qui lui enjoignait de dépeindre New York, avec ce roman qui se situe donc dans le New York de la seconde moitié du 19ème siècle.
C’est plus précisément au début des années 1870 que se situe le roman, dans le milieu très fermé de la bonne société new-yorkaise, milieu élitiste dans lequel l’étiquette a ses exigences auxquelles on ne saurait se soustraire. Tout y est codifié, s’agissant du langage, du vêtement (on se change pour le dîner…), du maintien corporel ou des interactions dans une société qui règle les parcours, qui ne tolère aucun écart quant aux codes en vigueur et où les unions ne sont pas nécessairement liées au transport amoureux.
Newland Archer, jeune homme de cette bonne société new-yorkaise, qui en a intégré tous les codes, élevé dans leur respect et persuadé de leur pérennité, doit épouser May Welland qui incarne tout ce en quoi il croit et qu’il respecte profondément.
« C’était seulement le jour même, dans l’après-midi, que May Welland lui avait laissé deviner son attachement » (selon l’expression consacrée à New York, pour exprimer le consentement virginal). Le respect des codes se pare ici d’un langage des plus édulcorés, pas d’effusion sentimentale, pas de démonstration amoureuse, tout se dit et se fait selon la tradition qui réglemente tous les aspects du vivre. C’est bien évidemment le cas pour les unions, et là, l’auteure met en lumière grâce à une écriture ciselée le poids de la tradition, son strict respect afin de rester intégré à la bonne société et une certaine nostalgie d’un monde voué à disparaître. Ainsi des fins de repas, les hommes se retrouvent dans la bibliothèque, ou éventuellement dans un fumoir, tandis que les femmes se réfugient dans le salon… des comportements aujourd’hui choquants mais qui mettent en lumière le cadre bien réglé de cette bonne société new-yorkaise, et ce monde ségrégé est celui qui s’éloigne (le texte date de 1920) inexorablement.
Les descriptions que fait Edith Wharton du quotidien de la bonne société new-yorkaise montrent aussi la conscience de classe dont font preuve ces familles : « Ces familles passaient auprès de beaucoup de gens pour former la pointe même de la pyramide, mais leurs membres n’ignoraient pas – du moins ceux de la génération de Mrs Archer – qu’aux yeux du seul généalogiste, seul un petit nombre d’entre elles pouvait prétendre à cette éminence ». Quelques familles, trois aux dires de l’auteure, pouvaient se réclamer d’une origine aristocratique « (New-York n’a jamais été qu’une communauté marchande) », mais toutes les familles fortunées affichaient des comportements qui laissaient prétendre leur appartenance à une lignée aristocratique.
La cousine de la future épouse de Newland Archer, la comtesse Olenska, arrive d’Europe pour fuir un mariage malheureux. Son attitude, ses comportements, tout en elle va scandaliser la bonne société qui l’ostracisera dans un premier temps. La comtesse n’aura pas l’appui d’une aristocratie, seule sa famille lui offrira un soutien, mais là encore relativement timide, puisque ce soutien est conditionné à son retour en Europe pour rejoindre son mari.
Newland Archer va s’offusquer du rejet de la bourgeoisie new-yorkaise et le sentiment que va lui inspirer la comtesse va jeter le trouble sur ses certitudes. Mais la bonne société veille, et Newland Archer qui ne pourra vivre cet amour, va prendre conscience de l’étau implacable d’une société qui ne peut admettre qu’on s’en écarte.
Guy Donikian
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