L’absence intérieure, Thierry Pérémarti (par Murielle Compère-Demarcy)
L’absence intérieure, Thierry Pérémarti, 122 pages, 8 €
Edition: Gros Textes
146 courts poèmes tricotent les pelotes du temps dans ce corpus de Thierry Pérémarti, L’absence intérieure, dont il nous est précisé à l’entrée du livre que « les huit premiers poèmes (…) furent initialement publiés dans la revue Décharge (n°170, juin 2016) », que le poème d’ouverture le fut « également dans la revue Ecrit(s) du Nord des Editions Henry (n°31-32, octobre 2017) et sur le blog du poézine Traction-Brabant (novembre 2017) ». Entre juillet 2015 et juin 2016, ces incises impressionnistes du quotidien se sont écrites, au fil du temps chaotique ou étale modulé selon les inconstances des états intérieurs creusés, parfois, jusqu’à attaquer l’absence. Comme nos navigations nous jettent parfois dans les errances du doute et nous voient à notre insu attaquer la falaise, ici ce qui était au départ « quiétude » attaque « l’absence intérieure » au courant de « l’entassement / des heures en marge », d’une « lumineuse pénombre », dans le « silence pesant » de « l’attente » tendue vers « le foudroiement des certitudes ». Quelque chose s’est rompu de l’éternité augurale de l’amour, « rosée première », qui laisse advenir l’ombre autour du « Je nous » initial
quelque chose
est descendu en nous
embuissonné sous la peau
mais qui demeure dans l’épaisseur de l’ombre et laisse entrevoir encore l’éclat, une lueur qui n’étouffe pas la flamme
qui repousse au loin
toute inespérance
toute prédilection
Un vide se forme en lieu de cette interruption dans le précipité aveugle, passionnel, hors du temps, de l’amour, qui met à nu la parole et laisse place à « l’absence intérieure » tisserande d’un fil perdu à recoudre autrement
faute d’avoir retenu
ce que longtemps
nous ont démontré
les ombres
quel fil en nous
s’effiloche
Dans les ressacs du souvenir « aux mailles usées », sortant de l’ivresse des profondeurs de l’amour dont nous sommes sur la plage du temps ordinaire « des galets », le poète Thierry Pérémarti rassemble des coquillages dans « l’écume imaginaire », le bouillon du réel, dans « l’opacité du donné à voir », « comme pour de vue / ne rien perdre » de la mémoire des sources qui se jettent dans la mer, du « vécu en marche ». Déposé avec son amour sur la plage, il écoute « ce qui bruit / (…) ce cantique qui arque / de se jouir à nu ». L’horizon de la mer infinie où nous sommes jetés malgré nous approfondit son mystère au fil de l’eau du temps, nous entoure de son envergure, navigateurs frémissants comme l’embrun « de ce que nous serons / (qui) n’existe pas encore ».
Sortant de la caverne aveuglante où l’amour ne pouvait percevoir la lumière véritable couvant sous son éblouissement, le poète écrit par bribes son avancée dans la pénombre qui le devance – ou nous rattrape – avec le temps, afin d’en tirer jusque sur les lignes de la parole, le rai vacant du poème/de la lumière. « L’absence intérieure » vient peu à peu éclairer de son incandescence « ce chant abyssal / à désenfouir / toujours qui recule // l’ineffable une fois / de plus / faisant corps à soi // indicible gisant là/ à bout portant / dans le délié de l’abandon ».
L’absence intérieure lève par son chant poétique et son cheminement dans le clair-obscur de nos vies « l’étoffe lourde de la nuit », la nôtre, qui s’avance au fil du temps et enrobe, et grignote, dans un face-à-face opiniâtre avec la lumière, nos existences.
Murielle Compère-Demarcy
Originaire de Bordeaux, Thierry Pérémarti est un poète et journaliste de jazz émigré aux Etats-Unis en 1985. Il a vécu à New York, Los Angeles et réside depuis dix ans à Dallas, au Texas. Il a fait paraître une quinzaine de recueils de poésie entre 1976 et 1992 et un ouvrage sur les musiciens qu’il a côtoyés, Visiting Jazz (Editions Le Mot et le reste, 2009).
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