Krankenhaus suivi de Carnet hollandais et autres inédits, Luigi Carotenuto (par Philippe Leuckx)
Krankenhaus suivi de Carnet hollandais et autres inédits, Luigi Carotenuto, juin 2021, trad. italien, Irène Dubœuf, 52 pages, 10 €
Edition: Editions du Cygne
Recueil poétique en trois parties, Krankenhaus, du quadragénaire Luigi Carotenuto, est un livre funèbre, hommage au père disparu, recueil clinique de séquences qui tournent toutes autour de la mort, des médicaments, de l’urne funéraire, des impressions de passer de l’autre côté.
Ce n’est pas un livre joyeux. « La maladie » y est présente, lourdement, comme une catharsis à évacuer, comme une charge dont il faut se délivrer. Comme il faut oublier le « Catane » de la mère, et oublier qu’on vient de l’Etna.
La mémoire ainsi est douleur.
« La beauté enterrée » résonne comme un déni.
Les images sont terribles : « gares détruites par un séisme », ou « Nombreux sont les spectres/ à envahir le soir ».
Le poète, face à l’acte de mourir, consigne, comme des pulsations essentielles, notre fragilité. Le monde ainsi décline nos peurs, nos hantises, nos doutes, et le monde a un jour « quatre-vingts ans » au compteur.
Carotenuto (très cher tenu) multiplie les constats cliniques, désespérés, et dans ce catalogue, même les corbeaux de Vincent font peur, taches noires, « monde grouillant », « mains vides ».
Dans un livre qui rend compte de l’absence, de la « corrosion » des choses, le poète trace notre peu d’avenir, et notre « faim » d’un autre temps qui n’abandonne pas.
Le poète qui veut « aller de pair avec (son) enfance » rameute des « tonnes/ de souvenirs » mais, à quoi bon, pourrait-on dire ?
Les voyages, même en Hollande, ont un goût amer, et l’auteur cherche en vain là une lumière qui serait méditerranéenne.
Lourd constat de faillite (psychologique), le livre étale des états d’âme, des désespérances, des moments oiseux, de lourds mystères qui étranglent.
Je sais que tu voudrais disparaître. Tu n’en parles à personne, tu devrais.
Disparaître brusquement, comme dans le sommeil,
glisser au loin dans l’inconnu.
Je sais que tu penses aux enquêtes oiseuses a posteriori, au
rapport familial ; la réponse est dans l’instabilité des liens (p.33).
Même les « amis » sont des « chats errants ».
L’écriture, petits poèmes en prose cinglants, lâche ainsi ses violences intimes.
Un livre déroutant et noir.
Philippe Leuckx
Luigi Carotenuto, né en 1981 à Giarre (Sicile) a publié L’amico di famiglia (2008), Vi porto via (2011), Krankenhaus (2020). Il est présent dans de nombreuses revues. Critique littéraire, il est rédacteur de la Revue L’EstroVerso.
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