Koltès, le sens du monde, Christophe Bident
Koltès, le sens du monde, 110 pages 13,50 €
Ecrivain(s): Christophe Bident Edition: Les solitaires intempestifs
La grâce de Koltès
Comme Christophe Bident l’affirme dans l’avant-propos de son texte, l’œuvre de Koltès ne détermine pas un sens qu’il faudrait appliquer au monde comme une espèce d’idéologie. Il met en avant d’ailleurs le livre de JL Nancy qui porte ce titre et lui sert de référence. Le sens est plutôt affaire de « flair ». Avoir le sens des affaires ou celui du rythme expliciterait davantage les perspectives que C. Bident veut mettre en lumière avec l’expression « le sens du monde ». Koltès n’a-t-il pas lui-même récusé, mis à sac les ordres du monde investis par ses parents : du côté paternel celui de l’armée, et du côté maternel celui du catholicisme (cf. p.25) ? Koltès dans son œuvre théâtrale cherchera à articuler les restes de sens du monde. Il fait face « à des bouts du sens du monde, avec lesquels il va lui falloir jongler, jouer, chercher, composer » (cf. p.25). Ainsi l’entreprise suivie par C. Bident est-elle de repartir de l’un de ses textes antérieurs, Généalogies, qui traverse l’écriture de Koltès par le biais du temps, en direction cette fois-ci de l’espace. Il y est bien question de l’intériorité subjective du monde. Pour C. Bident, Koltès écrit le mystère, celui qui s’inscrit tout aussi bien entre les scènes, les répliques, les mots eux-mêmes. Rien ne se donne et c’est cela qui explique sans doute la faillite d’un certain nombre de mises en scène des pièces de Koltès.
Koltès par ailleurs travaille sur divers media, allant du roman, au film en passant par l’écriture de scénario dans la mesure où ce qui est principalement en jeu, selon C. Bident, c’est le modèle narratif du monde (p.43).
En outre Koltès est un voyageur du monde (il ne faut pas prendre ce mot dans sa signification touristique). Christophe Bident analyse avec rigueur l’ensemble des motifs qui tournent autour par exemple des lieux, des noms des lieux dans son théâtre. La manière d’appréhender le réel chez lui n’est jamais évidence mais quête du vrai, du Monde. Il cite, à ce propos, un passage d’une lettre de 1978, p.42 :
J’ai l’impression d’avoir quitté le vrai Monde depuis très longtemps pour me trouver dans un univers de livres.
La matière littéraire irrigue l’œuvre entière comme le montre l’onomastique de certains personnages. Mais il s’agit toujours de changer, de déplacer la façon d’écrire d’une œuvre à l’autre. Ce qui compte aussi, c’est de comprendre que le monde se joue chez Koltès essentiellement sur le mode de la confrontation à deux, sur le plateau même si le monologue tient une place non négligeable mais toujours donné, en fait comme une adresse.
Ce que C. Bident met en lumière enfin chez Koltès, c’est que le théâtre doit mettre à mort, tuer la vie afin de la sauver. De même, les êtres au monde ne peuvent être fondamentalement ensemble et demeurent dans une « solitude affective » irrémédiable, à la manière des relations entretenues par Koltès avec sa mère pourtant tant aimée.
Dans son dernier ouvrage, C. Bident ainsi ne cesse-t-il pas de montrer combien l’énorme correspondance de Koltès, parue aux éditions de Minuit en 2009 éclaire son appréhension du monde en tant que grâce, grâce suffisante aurait dit Pascal dont Koltès était un grand lecteur.
On peut se reporter à ma chronique du 25 mars 2014, consacrée déjà à B. M. Koltès.
Marie Du Crest
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