Kinderzimmer, Valentine Goby
Kinderzimmer, 21 août 2013, 218 pages, 20 €
Ecrivain(s): Valentine Goby Edition: Actes Sud
Comment écrire sur la déportation, cet épisode tragique de l’histoire de la seconde guerre mondiale, sujet de maints ouvrages d’historiens et d’anciens déportés regroupés sous le nom de littérature concentrationnaire ? En dévoilant, par la fiction romanesque, un aspect peu connu de la vie des camps : la naissance de bébés dans les camps de concentration nazis.
En 1944, Ravensbrück est majoritairement un camp de femmes ; il compte plus de quarante mille détenues. Mila, femme travaillant dans une librairie d’édition musicale, est détenue à Ravensbrück, elle a été dénoncée par un mouchard et déportée.
La première partie du roman décrit, avec une précision digne d’une historienne, la vie dans le camp, la cruauté des Schwester, des Aufseherin (gardiennes et surveillantes) vis-à-vis des déportées. Valentine Goby décrit le supplice lors de l’Appel, qui peut durer plusieurs heures sous un froid insupportable, dans des tenues les plus légères : « C’est le moment où tes pupilles roulent comme des yeux de mouches. Voir. Mesurer l’espace. Bouger les pupilles d’un coin à l’autre de l’œil et de haut en bas sans remuer la tête, sans rien activer du reste du corps qui doit être immobile, ont dit les Françaises : faire la stèle ».
Le Revier, infirmerie du camp, est en réalité une antichambre de la mort. Pourtant, Mila, avec l’aide d’autres déportées, Lisette, Georgette, Teresa, s’accroche au présent, à l’espoir. Pas celui d’être libérée par les forces occidentales ou soviétiques, car elle juge cette perspective chimérique, peu crédible. Mila a appris peu de temps après son arrivée au camp qu’elle était enceinte. Elle fera tout pour préserver, dans toute la mesure du possible, sa santé pendant la grossesse : ses compagnes subtilisent du lait, des médicaments pour la faire tenir, pour éviter au nourrisson une mort certaine dès sa naissance.
La raison qu’invoquent ses compagnes de déportation pour l’aider, c’est l’utilité, l’attachement au présent, des instants de vie arrachés à la mort omniprésente dans ce lieu de cruauté et de barbarie. Ainsi Mila objecte-t-elle à Adèle, en proie aux rêves les plus insensés : « Le présent te sauve de l’idée du pire ».
Malgré tout, l’enfant de Mila naît dans une Kinderzimmer, littéralement la chambre des enfants, et par extension la chambre des nourrissons. Quelques semaines plus tard, son enfant décède par suite de malnutrition, de privations, du manque d’hygiène la plus élémentaire, du fait des épidémies qui ravagent le camp. Une autre détenue, russe, lui propose alors d’adopter son fils et de le déclarer comme son propre enfant : il se nommera Jammes-Sacha, Sacha étant le prénom d’origine de ce nouveau-né.
Ce roman illustre une volonté : celle, pour ces détenues, de considérer le camp comme un lieu de vie quasi-ordinaire, continuer à apprendre, à chanter, à mettre au monde des enfants. Le camp devient une partie d’elles-mêmes, il cesse d’être cette entité de barbarie hors du monde, hors des mœurs communes. On doit constater aussi à la lecture de ce roman la parfaite connaissance que possède Valentine Goby de cette période, elle qui n’est ni ancienne déportée, ni historienne de la Déportation. Ce roman fera date, il va marquer la rentrée littéraire et constituera très probablement une référence de poids dans ce domaine : l’apport de la littérature face à des ignorances historiques.
Stéphane Bret
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