Karina Sokolova, Agnès Clancier
Karina Sokolova, janvier 2014, 227 pages, 20 €
Ecrivain(s): Agnès Clancier Edition: Arléa
Histoire d’amour
« – Pourquoi tu m’as adoptée ?
– Parce que tu n’avais pas de maman pour s’occuper de toi et que je n’avais pas de petite fille ».
C’est aussi simple que cela l’histoire fusionnelle d’une fillette et de sa mère adoptive.
Le destin de Karina Sokolova, abandonnée quelques jours après sa naissance dans les rues glacées de Kiev, pourrait être dramatique. Mais non !
Karina a 3 ans lorsque l’auteur comprend, lors d’une visite à l’orphelinat, qu’elle a rencontré quelqu’un d’exceptionnel. Elle lui demande – « c’était (…) la troisième (…) phrase que tu entendais en français toi qui ne parlais pas, même en ukrainien » – de donner à une petite handicapée l’ours en peluche qu’elle lui a offert deux jours plus tôt. « Tu comprenais tout. (…). Il n’existait plus de langue étrangère tout à coup. (…) Tu lui as rendu la peluche ».
Leur premier matin à Paris donne lieu à des pages fort belles. « Tu étais là, près de mon lit, tout près de moi. (…) Je t’ai soulevée. Tu étais si légère. Comment un être humain peut-il être aussi léger ? Avec tout ce que tu avais déjà vécu ».
Ballet de nounous : une Malienne qui ne vient que pour téléphoner et s’enfuit en laissant une note pharaonique, une Mauricienne qui enferme Karina à clef, une Française qui fume et vole les cassettes de l’enfant pour sa propre fille dont son mari a la garde. « J’étais en train de confier mon enfant à quelqu’un qui n’avait pas été jugé apte à garder sa propre fille. Au moins entretenait-elle de bonnes relations avec son ex-conjoint puisqu’elle l’invitait à venir piller mon frigo ».
Mais tout n’est pas rose et il faut subir de nombreuses remarques acerbes : votre fille n’a pas de père ? Vous êtes sûre qu’il ne manque pas une page au livret de famille ? Pourquoi tu n’as pas fait un enfant avec un bel homme… ?
Ou cette réflexion d’une grand tante aigrie : « Elle t’appelle comment ? (…) Je réponds sur le ton de l’évidence : Maman ». Mais l’aigrie est aussi jalouse : son fils avait jadis réussi un exploit, êtreadmissible à l’ENA (ce qui signifie qu’il a réussi les épreuves écrites mais a été retoqué à l’oral) ; en étant elle-même admise dans la prestigieuse école, Agnès Clancier a transformé l’exploit en anecdote.
Ah… la famille… « On t’aidera, disaient-ils. Tu n’as pas à t’en faire. Tu pourras compter sur nous. Où sont-ils maintenant que tu es là ? »
Premier Noël français en famille de Karina. Glaçant. « Les présents formaient une montagne plus haute que toi. (…) Ma belle-sœur t’en a tendu un. Je ne sais plus ce que c’était. – On s’est tous cotisés, a annoncé mon frère. (…). Tu n’en avais qu’un alors que ta cousine en recevait une dizaine. Nous avons passé la soirée à les regarder se remercier mutuellement. Tu avais trois ans et demi ».
Mais Karina supporte les épreuves. « Tu es la personne la plus gaie du monde. Tu ne fais pas de caprices. Tu comprends tout ».
Peut-être pour fuir, mère et fille s’envolent pour l’Australie. A 5 ans, Karina, qui ne parlait pas un mot de français ni d’anglais deux années plus tôt, devient bilingue. Et la petite fille grandit…
Agnès Clancier a perdu ses parents très jeune. « Ils ont commencé à se disputer le lendemain de leur mariage. Ils parlaient beaucoup de divorce ». Son père voulait qu’ils se partagent les enfants. « Il me prenait moi et ma mère gardait mon frère. Elle répondait qu’elle voulait ses deux enfants ». On comprend en la lisant qu’elle a préféré choisir sa famille qui se compose désormais de Karina et de son grand oncle, le poète Georges-Emmanuel Clancier.
Karina Sokolova est sorti en janvier 2014. Cet ouvrage n’a pas beaucoup fait parler de lui. Les Français, ce peuple suicidaire, préfèrent réserver un triomphe au torchon d’une femme médiocre qui règle des comptes avec son amant volage ou aux divagations d’un petit juif haineux qui veut sauver le soldat Pétain.
Ces ânes feraient mieux de lire ce livre qui est à la fois un récit poignant et un roman d’amour. Il est à l’image de son auteur : magnifique.
Fabrice del Dingo
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