Juste après la vague, Sandrine Collette
Juste après la vague, janvier 2018, 302 pages, 19,90 €
Ecrivain(s): Sandrine Collette Edition: Denoël
Rien ne vient contredire davantage cette belle et bien souvent très juste citation d’Alberto Manguel : « La lecture est une tâche confortable, solitaire, lente et sensuelle… » (1), que ce nouveau roman de Sandrine Collette. C’est que Juste après la vague n’est vraiment pas un roman comme les autres. Les récits d’anticipation dystopiques ne manquent pas, mais celui-ci, si c’en est un, ne convoque pas les éléments traditionnels qui les caractérisent et les distancient confortablement de notre monde réel. On n’y trouve pas de message politique à valeur prophétique ni de mise en garde. Et si les ancrages géographiques et temporels s’affranchissent volontairement de toute réalité, les tsunamis, typhons et autres catastrophes naturelles de ces dernières années ne peuvent que venir à l’esprit du lecteur, et ce, dès l’incipit. Le seul élément fantastique du récit est ce que des enfants décrivent comme un « monstre » et qui pourrait très bien n’être qu’un gros mammifère marin.
Dès les toutes premières pages, le lecteur, le souffle un peu court, hésite : va-t-il avoir la force de poursuivre sa lecture ? Bien sûr, la curiosité l’emporte et il se jette à « âme perdue » dans cette effroyable course contre la montre, contre la mer. De répits, il n’y en a guère, ni pour les personnages, qui luttent pour leur survie, avec toute l’énergie du désespoir, ni pour le lecteur, qui assiste, horrifié et hébété par sa propre impuissance, au naufrage physique et psychologique des onze protagonistes : un père, une mère et leurs neuf enfants, qui cherchent à rejoindre les terres hautes pour ne pas être engloutis par la vague. Froid, précis, minutieux et décisif, le comptage revient comme un leitmotiv, structure le récit et peine à masquer la précarité du voyage : le nombre de centimètres gagnés par la mer, le nombre de places dans le bateau, le nombre de bouches à nourrir, le nombre de kilomètres à parcourir, le nombre de jours et de nuits avant la délivrance… La quête se fera néanmoins de plus en plus instinctive, animale, égoïste, elle se déshumanisera au fil des pages, et c’est là que se situe toute la tragédie : lutte titanesque, choix cornélien, douleur irrépressible. On court, on se précipite vers la fin, on engloutit la dernière page, car on espère à tout prix qu’il y aura une accalmie, une petite éclaircie après la tempête, ou ne serait-ce qu’un infime sursaut d’humanité.
Ce cinquième roman de Sandrine Collette nous happe et nous entraîne dans une véritable descente dans le Maelström (2), dans le rouleau compresseur de sa lame de fond. On en ressort indemne bien que médusé par la puissance de ce cauchemar ahurissant. À la différence d’un Miyazaki, le roman n’insinuera jamais que l’homme est à l’origine de la colère des dieux de la nature. Est-ce pour autant plus rassurant ?
Christelle D’Hérart-Brocard
(1) Alberto Manguel, Journal d’un lecteur, Actes Sud, 2004.
(2) Référence à Edgar Allan Poe, Une descente dans le maelström (A Descent into the Maelström), 1841.
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