Juif de personne, Michel Persitz (par Gilles Banderier)
Juif de personne, Michel Persitz, octobre 2019, 350 pages, 20 €
Edition: Jean-Claude Lattès
En ses premiers chapitres, Juif de personne n’est pas sans présenter des analogies avec le livre de Gérard Ejnès, Comment le dire avec circoncision ? (paru quelques semaines plus tôt) : même humour un peu lourd, même ironie qui se veut voltairienne vis-à-vis des dogmes du judaïsme, de ses récits fondateurs et de ses rituels millénaires, même insistance pesante sur l’acte de la circoncision (p.32). Le chapitre 8 développe ainsi une comparaison irrévérencieuse entre la Bible hébraïque et une quelconque série de Netflix : « Dernière saison : le Tanakh, les “Écrits”. Là, on sent vraiment monter la fatigue des scénaristes. Même le titre n’est pas accrocheur. C’est un vrai foutoir. Les Psaumes, les Proverbes, divers récits : Ruth, Esther, Daniel. Les rédacteurs sont payés à la page. Tout cela est réservé aux inconditionnels, aux barbus à chapeau noir, papillotes et kaftan, aux véritables accros de la série » (p.65). On est embarrassé de rappeler à Michel Persitz que l’acronyme Tanakh désigne la Bible hébraïque en entier, et pas seulement sa dernière partie. Le lecteur comprend vite que l’auteur n’est pas un Juif orthodoxe et qu’il a des comptes à régler avec la religion de ses pères, mais à quoi bon en faire un livre qui ne convaincra que ceux qui le sont déjà ? Inscrivons à son crédit qu’il ne fait point partie de ces croyants totalement étanches au doute, quelle que soit leur foi.
« Je suis installé sur le même banc que Marc Bloch, parmi ces Français juifs qui ne se sentent et ne s’affirment jamais aussi pleinement juifs que lorsque cela dérange quelqu’un » (p.155).
Apparaît un autre plan, sécant au premier : Michel Persitz est non seulement Juif, fils de Juifs, mais encore fils de déportés. Originaires d’Europe de l’Est, ses parents ont traversé les cercles de l’enfer, ont vu ce qu’aucun humain n’aurait dû voir et en sont revenus. Bien entendu, cet aspect de l’histoire familiale ne lui fut pas révélé d’un coup ; il l’a découvert petit à petit et le livre se transforme alors en récit d’apprentissage. En 1993, il entreprit une sorte de pèlerinage, de voyage retour et visita le plus célèbre camp d’extermination polonais. C’est l’occasion de rappeler une évidence soigneusement occultée, y compris lors de commémorations : Auschwitz n’a pas été « libéré ». Il fut déserté par les Allemands et l’Armée rouge tomba dessus par hasard. En Pologne, Michel Persitz découvrira ce que l’on peut découvrir sans aller aussi loin, en visitant le seul camp de concentration établi sur le territoire français (Natzweiler-Struthof) : on y perçoit une sorte de rémanence fossile, de rayonnement noir ; comme si les atrocités commises des décennies plus tôt avaient détrempé, imprégné, jusqu’aux arbres, à l’herbe, aux oiseaux et au ciel. C’est l’envers obscur de ces étoiles dont le rayonnement persiste longtemps après qu’elles ont disparu.
La visite d’Auschwitz-Birkenau (au moment où Spielberg se prépare à y tourner La Liste de Schindler) se révèle à la fois effrayante et banalement touristique (quel genre de souvenirs peut-on rapporter d’un voyage pareil ? Existe-t-il des boules à neige avec le sinistre portail ?). « Une fois qu’Auschwitz circule dans ton ADN, c’est foutu, il est entré dans ta vie, il n’en ressortira plus. Au mieux, tu ne connaîtras que des rémissions » (p.270). Ce voyage vers l’enfer froid marquera peut-être moins l’auteur qu’une épreuve d’un autre ordre : vider l’appartement de sa mère après le décès de celle-ci et y trouver, soigneusement mis à l’abri, des manuscrits où les parents de Michel Persitz relatèrent – autant que la chose soit vraiment dicible – leur expérience de déportés. Ces textes sont publiés à la fin du volume et c’est ce qui, avec le récit de voyage (volontaire) à Auschwitz, fait l’intérêt du livre, car il se produira bientôt pour les rescapés de la Shoah le même compte à rebours macabre que celui qui, dans les années 1990, scanda la disparition des derniers Poilus (la Fondation pour la Mémoire de la Shoah a d’ailleurs entrepris un travail de publication qui mérite l’intérêt).
Gilles Banderier
Publicitaire recyclé, Michel Persitz vit à Marseille.
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