Journaux de voyage, Bashô (par Philippe Leuckx)
Journaux de voyage, trad. japonais, René Sieffert, 128 pages, 14,50 €
Ecrivain(s): Bashô Edition: Verdier
Peut-être bien le plus grand poète que la terre ait porté. Sans doute le pèlerin et le marcheur le plus assumé. Que n’a-t-il traversé comme terres nipponnes ! Ce poète était aussi un fort en méditation, un expert du haïkaï, un fulgurant amateur de relations humaines authentiques.
Ses journaux de voyage relatent avec force détails ses pérégrinations incessantes. D’un gîte où il reçoit le couvert à un monastère qui l’accueille, le poète Matsuo a tout supporté des voyages, la forte chaleur, les maux de pieds, le froid cassant, l’ennui des traversées. Mais de tout cela il en a extrait une matière unique, tissée d’observations insignes du monde perçu. La moindre fleur, la plus petite bête, le moindre ciel changeant, le glissement subtil des saisons : tout est objet d’écriture immédiate .
De ma robe d’été
jamais je n’en finirai
d’enlever les poux
Bénis ces lieux
où le vent parfume la neige
vallée du Sud
Vers les monts d’été
Ses sandales saluées
je reprends la route
Ce poète géographe sait avec une acuité brillante décrire le moindre lieu, la plus insaisissable atmosphère. Les récits consignés chaque fois se voient contrebalancés par de brefs poèmes qui en conservent le souvenir sinon la sensation. Ces proses ont l’allant d’un pèlerin qui ne baisse jamais les bras devant les aléas rencontrés. Et donc le livre qu’il porte garde des voyages ce goût âpre du vécu, de la difficulté renversée, de la beauté admirée après tant de périples. Peu de poètes ont laissé ainsi traces flagrantes de leurs nombreux passages. Bashô trouve là une manière singulière d’inscrire son cœur et son art au plein centre des paysages traversés.
Parfois d’un naturalisme étonnant, souvent lyrique, ce livre exprime véritablement l’âme d’un poète qui trouve son art au rythme de ses pas et de ses chevauchées, dans un grand mouvement d’appréhension du monde. Ainsi lira-t-on ces Journaux de voyage comme une phénoménologie elle-même singulière d’un témoin du XVIIe japonais. Il y a de l’anthropologue chez Matsuo, ce goût aigu de rendre compte des us et coutumes des pays traversés.
Durant de longues années, le poète au bananier (de là lui vient son pseudonyme) a vécu entre monts et vallées, en quête de sa voix et des autres.
Il a laissé plus de mille haikus, et nombre de proses.
Il est la preuve par la poésie que la matière d’une vie peut servir la plus haute littérature.
Philippe Leuckx
Bashô (Matsuo Munefusa), auteur japonais, le plus grand maître du haiku. Né en 1644, mort en 1694.
- Vu : 1968