Journal liberté Alger - La liberté pour « Liberté » - Cette chronique sera-t-elle la dernière ? (par Amin Zaoui)
1/ Je suis triste ! Révolté.
Le pays va mal ! Moi aussi.
2/ En avril 2009, j’ai publié ma chronique Souffles dans les colonnes du quotidien Liberté. Avril 2022, treize ans plus tard, jour pour jour, le journal Liberté est mis à mort ! L’Algérie sans doute aussi !
3/ Les souffles de liberté sont étouffés.
Treize ans durant, j’ai reçu des milliers de messages de la part de lectrices et de lecteurs, celles et ceux qui partagent mes idées, celles et ceux qui adhèrent à ma vision du monde, et celles et ceux qui ne les partagent pas. Mais dans les deux cas, c’était une belle aventure !
4/ Aujourd’hui, le journal Liberté est mis à mort ! Ce n’est pas le journal Liberté qui est assassiné, mais c’est la liberté qui est menacée, écrasée. La liberté est l’âme de toute nation qui rêve d’un avenir radieux.
5/ Il n’y a pas de démocratie en bonne santé sans un paysage médiatique pluriel professionnel libre et en bonne santé. On ne peut pas construire un pays d’avenir sans une presse libre et libérée du pouvoir de l’argent et du pouvoir politique.
6/ Sur le plan politique, l’absence d’un journal à l’image de Liberté est une menace pour la pluralité et la diversité.
7/ Sur le plan historique, la disparition du journal Liberté est une menace pour la mémoire des martyrs ; ceux qui ont sacrifié leurs vies pendant la décennie noire, et ceux qui l’ont fait pour l’indépendance du pays.
8/ Il n’y a pas d’opposition politique sans une presse responsable capable de porter l’autre voix, les autres voix. Défendre la différence.
9/ Il n’y a pas de pouvoir politique, quel qu’il soit, sans un journal comme Liberté. Un journal critique qui représente la voix de l’interlocuteur, celle qui porte le déséquilibre équilibré avec la raison et la sagesse. Mais aussi avec la colère constructive.
10/ Il n’y a pas de culture plurielle, de littérature, de théâtre, de la musique universelle, de cinéma sans un journal qui creuse dans le beau et le fascinant, et le journal Liberté menait avec brio ce combat pour les arts et pour les artistes.
11/ Aujourd’hui, avec la mise à mort du journal Liberté, les valeurs de la différence, de la pluralité et de la raison sont bafouées. Les valeurs de l’argent sont dévoyées.
12/ L’argent sans les médias respectés est un suicide politico-économique et moral. Toute fortune qui n’est pas entourée par la culture, par l’art et par un journalisme professionnel est un tas d’argent amassé à la pelle.
13/ L’argent est une valeur politique et civilisationnelle avant d’être bancaire.
14/ Quand l’argent qui régente la presse est aveugle, le quatrième pouvoir est sans pouvoir.
15/ Seul un bon journal à l’image de Liberté, mis à mort aujourd’hui, est capable de moraliser l’argent et les hommes d’affaires.
16/ Quand un journal à l’image de Liberté est mis à mort, dans un pays comme l’Algérie, cela signifie qu’une nouvelle porte est grande ouverte pour l’intégrisme. Je suis triste ! Révolté !
17/ Aux côtés d’autres titres comme El Watan, El Khabar, Le Matin, Le Quotidien d’Oran… le journal Liberté est né dans la douleur, et les rêves d’Octobre 1988, symbole et gardien de la démocratie, de la pluralité et de la diversité.
18/ Depuis les années 90, le journal Liberté est la voix de la raison, le barrage obligatoire contre l’obscurantisme islamiste et contre la corruption.
19/ Un pays agonise quand sa presse est mise à mort.
20/ L’État de droit doit intervenir afin de sauvegarder ce qu’il reste des supports de communication pour la démocratie et la liberté d’expression.
Le pouvoir algérien, quel que soit le jugement que l’on porte sur lui, est appelé à intervenir pour sauver le journal Liberté, pour arrêter la chute d’une voix opposante et garante de la diversité.
21/ Il n’y a pas de pouvoir sans contre-pouvoir, et le journal Liberté a été, pendant près de trente ans, la voix de cet équilibre déséquilibré.
22/ On n’a pas le droit de fermer le journal Liberté. Il n’est pas la propriété de quelqu’un. Il est la fierté de toute une nation. Il est la patrie des lecteurs.
23/ Treize années depuis la publication de ma première chronique hebdomadaire Souffles, celle-ci sera-t-elle la dernière ?
24/ Le combat intellectuel continue toujours avec l’âme de Liberté !
Amin Zaoui
In Souffles, Liberté (Alger)
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