Jour, Jean-Jacques Marimbert
Jour, juin 2013, 59 pages, 10 €
Ecrivain(s): Jean-Jacques Marimbert Edition: Carnets du dessert de lune
En poésie, il y a tant de manières d’aborder, de lire, d’aimer… et tant d’émotionnel dans cet exercice-là ! Ceux, par exemple, qui vous diront tout de l’architecture, des chemins qu’empruntent ces mots à part du reste des écritures, qui analysent, conceptualisent et vous « disent » – sans contestation aucune – le sens, le vrai, le définitif. Ceux qui sauront, presque immédiatement, les ponts si évidents, disent-ils, avec cet autre immense poète, et qui intimident au point de nous laisser à la porte de leur précieuse chapelle. Et puis, il y a ceux qui veulent voyager en poésie, à leur rythme, comme ça leur chante ; ceux qui vont au pays des vers, comme au concert, pour la musique, le voyage, le coup au cœur. Ceux qui la lisent, cette poésie, à mi-voix, et l’emportent partout en promenade, pour en savourer deux ou trois vers, ici ou là, comme deux tranches de mandarine d’hiver…
Jean-Jacques Marimbert – sa biographie le dit – est un homme à plusieurs vies, donc, un poète !
Sur un papier au toucher soyeux, comme en ancienne Chine, illustré – noir et blanc ; traits forts, images à peine estompées, par un Yves Budin inspiré, son Jour se lit, se murmure, s’emmène. On pourrait bien lui accorder une place de choix, au chevet du lit, là où nichent chez moi les poèmes qui me parleront toujours.
L’architecture, d’abord ! Un château de cartes anciennes ; solidité énigmatique ; des marches irrégulières, et là, comme une pause invitée, un seul mot ; la voix, quand on lit, s’attarde : « Ni vieux, ni jeune, le matin / Est une écaille de temps / Egarée / Dans le noir ».
La musique, la scansion, le rythme ensuite ! « Me voici sur un banc / Flocon tiède égaré chantonnant / Dans l’air gris / ». Chanson ; vive et imagée ; à dire légèrement en appuyant ça et là, sur les finales ou en laissant couler… trois vers pour la journée dans un coin de la tête ; bagage précieux et si ordinaire aussi pour – surtout – quand ça n’ira pas.
Ce Jour est fait de qui, de quoi ? enfin, puisque cette poésie est dans une première lecture, descriptive – liberté, cependant, pour chacun d’assaisonner à sa guise. On y revient, et – transfiguration magique propre au genre – on y voit tout autre chose, et le poème, telle la boule de neige en verre, des contes, raconte une histoire à l’autre bout de l’autre !
Les encres-pie bicolore de Budin ont semé à chaque page des bateaux, des cargos, des bords de mer – plutôt l’Océan, côté ports que les plages à touristes. Il y a d’abord et peut-être surtout, du voyage, des lointains dans ces pages du Jour : « A quoi rêvaient-ils donc / Ces enfants d’Amérique, si / Pauvres qu’on leur voyait les poumons ? ». Rêveries d’un vieux, solitaire sur un banc public ; moineaux des squares et des villes anonymes. Et puis, celui qui écrit et son voyage intérieur – celui de tout le monde ; les amours décevantes ou déçues ; les séparations, les regrets ; les femmes, ou la femme ; l’arôme du poème, comme une déclinaison d’épices ou de flagrances mélangées : « Aurais-je dû me tenir / Sur mes gardes / Le jour / Où… Tu disais n’être là que pour / Un temps. Jusqu’à. / Ce que finalement tu partes »…
Mais, vous le savez bien, le livre de poèmes est celui qui habite la table, retourné, ouvert sur la page cornée du préféré de ses hôtes ; moi, c’est ce superbe portrait de femme aérien, qu’on imagine orientale, dont le noir et blanc puissant et doux marque longtemps la prunelle ; face à lui, simplement : « Ce matin le ciel / Ne s’ouvre pas / Et la peur sourd / Des murs ». Jour (s) mystérieux de tristesse et d’ouverture. La vie…
Martine L Petauton
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