Joselito, le vrai, José Miguel Arroyo
Joselito, le vrai, traduit de l'espagnol par Antoine Martin, Avril 2014, 288 p. 16,20 €
Ecrivain(s): José Miguel Arroyo Edition: Verdier
« Au commencement est le silence. C’est du moins ce qui me frappa lorsque j’assistai à ma première corrida, à l’âge de douze ans, il y a tout juste un demi-siècle. J’entendais bien les clameurs, les applaudissements, les sifflets, et surtout les injonctions criées aux protagonistes depuis les gradins… Mais à toutes ces manifestations, les hommes de lumière opposaient le mutisme le plus opaque. » François Zumbielhl – Le discours de la corrida – Verdier – 2008
Silence des toreros, mutisme absolu de ces hommes de l’éphémère, ils savent que la parole appartient finalement aux autres, à ceux qui voient – de loin – ce qui se joue de près, se sacralise sur le sable. Les toreros parlent peu, écrivent encore moins. Leur histoire, leur roman, leurs rêves, ils l’écrivent sur le sable à cinq heures du soir, et cela suffit semble-t-on comprendre, ou bien laissez- moi seul avec ce taureau, et pour le reste, nous verrons bien !
Les grands écrits taurins viennent d’ailleurs, d’écrivains, Hemingway que Pampelune salue tous les ans pour l’ouverture de la San Fermin, mais aussi Michel Leiris et sa littérature considérée comme une tauromachie, Jean Cau qui quelques temps avant sa disparition traversait en silence et à pas comptés – tel Curro Romero - les rues de Nîmes, José Bergamin et sa musique tue (encore le silence !), Camilo José Cela et ses lumineux paradoxes de Toreros de salon :« Plus facile d’affronter vraiment un taureau de l’inquiétant élevage de Miura que d’en simuler le combat. », Joseph Peyré, Montherlant, Francis Wolff et sa philosophie de la corrida, Jacques Durand dont tous les livres sont à verser au bénéfice de l’art, de la matière et du style, Alain Montcouquiol qui a redonné corps au corps déchiré de son frère d’armes et soie, Nimeño II.
Silence de Joselito, visage souvent fermé, concentré sur sa musique intérieure, sur son art secret. Silence de Joselito, l’une des énigmes des années quatre-vingt dix, trop classique et trop moderne pour l’époque, ne se confiant qu’en avançant la main et en se croisant devant ses taureaux, comme l’on dit sur les gradins. Joselito, le gamin qui a grandi à « l’est de l’Eden de Madrid », passant d’un chapardage, d’un chaos l’autre, affrontant la rue en face, comme il le fera ensuite des taureaux. Puis à dix ans, il franchit la porte de l’école taurine de Madrid, premier pas vers la résurrection, premier pas sur le sable, pour oublier un peu plus tard les combines et les mafieux.
« Chacun était ce qu’il était, mais tous venaient chercher une issue à leur vie et à leur passion, parfois pour le pire. Je me souviens de Pablito Nevado, un becerrista de Valencia de Alcántara qu’on appelait Paulita, parce qu’il toréait avec une vraie profondeur artistique. C’était un diamant brut. Mais, avec lui, on a vu à quelle vitesse la grande ville peut transformer un gosse de la campagne, puisque quelques semaines après son arrivée, il portait un Perfecto de cuir, un badge des Ramones, des lunettes noires… Il s’est perdu. »
Silence de l’apprentissage, des chutes et des joies. Il renonce en choisissant. C’est là, à l’école taurine, qu’il rencontre Enrique Martín Arranz, qui deviendra son mentor, son père adoptif, son apoderado, son homme de confiance pour les affaires taurines. Joselito déroule ainsi sa vie d’avant et d’après la résurrection, d’avant, au centre, et après les taureaux avec la même sincérité qu’il mettait à dérouler ses passes de la main gauche dans les arènes. Sincérité du combat permanent pour dire enfin ce qu’il a dire. Les coups pleuvent, les insultes, les rumeurs, les jalousies, les tromperies, les coups tordus, le jeune homme de « l’est de l’Eden de Madrid » se livre et s’y livre à livre ouvert, comme s’il s’agissait d’un berceau de cornes.
« Le torero doit associer la sensibilité d’un artiste, pour s’exprimer, et le courage d’un guerrier, pour surmonter la douleur et la peur. Il faut pouvoir conjuguer les deux modes du toreo, et ce n’est pas une affaire de matous, mais de tigres.
Comme le dit Antonio Corbacho, l’imprésario qui a révélé José Tomás, la mentalité du torero ressemble beaucoup à celle du samouraï, qui se maintient ferme dans la bataille, même s’il est détruit de l’intérieur. Tu dois penser et sentir qu’il n’y a pas de douleur, jamais, pour aussi grave que soit le coup de corne que tu viens de recevoir. »
Silence des succès, de la gloire, Joselito garde ce visage fermé, emprunt d’une lointaine tristesse disent certains, d’un doute rajoutent d’autres, de nostalgie conclue un troisième. Figure d’un penseur triste pourrait-on aussi écrire, mais jamais surlignée, jamais jouée, de verdad simplement, comme son style. Joselito ne se rêve pas écrivain, comme il a pu se rêver torero. Il a appris à marcher, à compter ses pas pour traverser l’arène, puis ses blessures, ses échecs et ses triomphes, son livre c’est sa vérité, sa vie, et il fallait traverser pas à pas ce mutisme opaque, pour pouvoir l’écrire.
« La vérité est une question de centimètre dans le court espace de terrain interdit qui se trouve devant les cornes. Comme disait le grand écrivain taurin Pepe Alameda « un pas en avant et l’homme peut mourir ; un pas en arrière et l’art peut mourir ». Dans le torero, c’est cette ligne qui sépare le sublime du vulgaire. Et je n’ai jamais voulu être un torero vulgaire. »
Philippe Chauché
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