Jim Morrison, Jean-Yves Reuzeau
Jim Morrison, 425 pages, octobre 2012
Ecrivain(s): Jean-Yves Reuzeau Edition: Folio (Gallimard)
L’inévitable subjectivité d’une biographie peut s’avérer plus que positive. C’est le cas de celle consacrée au chanteur des Doors, Jim Morrison, par Jean-Yves Reuzeau, pour qui cet ouvrage n’est pas un coup d’essai. L’auteur a le double mérite, outre l’écriture, de présenter Jim Morrison comme le poète qu’il fut tout au long de sa courte vie et comme une réelle et profonde solitude. Il eût été facile de mettre l’accent sur la « bête de scène », de montrer d’abord et avant tout les déboires judiciaires qui vont précipiter sa chute, autant de pièges auxquels l’auteur échappe.
Le poète tout d’abord, celui à qui, dès le plus jeune âge, « la lecture s’impose comme une passion dévorante ». Il découvre très tôt Kerouac, Ginsberg, les philosophes présocratiques le passionnent alors qu’il n’a pas vingt ans. Mais ce sont les poètes qui auront rapidement sa préférence, comme Rimbaud et William Blake. Le côté visionnaire du poète français le retiendra longtemps, jusque dans ses chansons. Lui-même se définissait comme « un homme de mots », sans doute l’aspect le plus important qu’il faille aussi retenir de Jim Morrison. Tous les textes des chansons des Doors seront des poèmes, incantatoires souvent, qu’il met en musique aves le groupe.
Parallèlement à la poésie, le chanteur des Doors est aussi épris de cinéma, et surtout de cinéma français. Ses références, partagées avec de nombreux autres étudiants de l’UCLA, sont Gogard, Truffaut, Fellini ou encore John Cassavetes. La nouvelle vague fait des émules aux USA, et Jim Morrison fera tout pour qu’aboutissent ses projets cinématographiques pour lesquels le concours de Jacques Demy et Agnès Varda sera sollicité.
Jim Morrison fut aussi une réelle solitude qui semble s’expliquer par différents événements survenus dans son enfance. Cet accident tout d’abord, dont il est témoin à l’âge de quatre ans, au cours duquel plusieurs Indiens de la tribu Sandia Pueblo perdront la vie. L’enfant qu’il était reste pétrifié à la vue des corps ensanglantés, assis sur le siège arrière de la voiture du père. Nombre de ses textes portent la marque de cette scène, et l’allusion est plus précise encore dans Peace Frog sur l’album Morrison Hotel. L’accident a eu lieu en décembre 1947.
Autre facteur déterminant auquel il est confronté dans son adolescence, le racisme, qui sévit dans le lycée George Washington qui n’admettra son premier lycéen noir qu’en 1961. « Témoin du racisme et de la ségrégation, Jim observe une bourgeoisie blanche odieusement arrogante dans ses certitudes ». Cette bourgeoisie, dont fait partie sa famille (son père est un militaire qui obtient rapidement du grade), sera aux antipodes de l’univers qu’il se construit avec Nietzsche, Kafka, Camus et beaucoup d’autres, et il n’aura de cesse de la combattre à coups de mots et de concerts où la provocation le dispute à l’énergie, provocation qui lui vaudra des procès et son exil en France.
Sa révolte contre l’autorité, son amour des mots caractérisent bien celui qui a révolutionné le rock, qui a osé faire de la scène un espace de liberté, qui n’a pas hésité à déclamer lors de concerts ses textes poétiques. Ainsi déclara-t-il : « j’ai toujours été attiré par tout ce qui parlait de révolte contre l’autorité. Celui qui se réconcilie avec l’autorité se met à en faire partie ».
Guy Donikian
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