Jésus kill Juliette Eloïse, Jacques Cauda (par Patryck Froissart)
Jésus kill Juliette Eloïse, Editions Douro, juillet 2021, 80 pages, 15 €
Ecrivain(s): Jacques Cauda
Jacques Cauda est un créateur étonnant et détonnant, un poly-artiste foisonnant, intarissable, ubique et unique, écrivain, peintre, illustrateur, directeur de collection chez Douro, omniprésent sur les réseaux sociaux, jouant la provocation à tire-larigot, ce qui n’est assurément pas pour déplaire en cette époque où la bienséance et son corollaire la biendisance sont de plus en plus d’âcre rigueur avec pour conséquences immédiates les levées récurrentes d’étendards d’une morale archaïque, les accusations de blasphème et l’instauration insidieuse de l’autocensure.
Dans le présent ouvrage au titre énigmatique, le personnage narrateur raconte avec la verve truculente qui caractérise l’auteur son histoire avec Juliette, professeure d’anglais et d’autres moyens d’expression. Le prénom Juliette, rencontré récemment en relation intertextuelle explicite avec l’héroïne des Prospérités du Vice dans la recension pour La Cause Littéraire de Moby Dark, autre œuvre décalée de Cauda, semble être iconique chez notre auteur qui multiplie d’ailleurs malicieusement les références littéraires et philosophiques au Divin Marquis.
« J’ai rêvé que j’avais épousé une héroïne de roman, et pas n’importe laquelle puisqu’il s’agit de la Juliette de Sade, la Juliette des Prospérités du Vice. Nous sommes en 1990 soit dix ans après mon mariage. J’écris ».
Voilà qui fait prétexte au déferlement d’une écriture baroque, entremêlant récit, commentaire, autofiction, autobiographie, compositions poétiques, billets collés dans la salle de bain en forme de dialogue avec Juliette, réflexions sur l’art d’écrire, sur l’art de peindre, sur la relation que l’auteur noue entre ces deux expressions artistiques et, élément qu’on peut considérer comme central dans ce livre, l’interview de Cauda lui-même par une journaliste qui n’intéresse pas l’artiste par ses seules questions.
« Peindrécrire a toujours été mon verbe.
[…]
Pourquoi la peinture a-t-elle cédé sa place, son espace, peu à peu à l’image, jusqu’à devenir abstraite (de toute figuration) et déclarée morte par beaucoup d’artistes ? me demanda-t-elle en croisant deux fois les jambes. Les cuisses ! La culotte… ».
Evidemment ! Cauda étant Cauda, le sexe, avec l’infinité de ses variations scéniques, la diversité de ses possibilités narratives, et la multiplicité de ses références textuelles (Cauda en appelle à Catherine Millet, à l’Histoire d’Ô et bien sûr à Sade), occupe dans ce « roman » la place qui semble lui être récurremment impartie dans l’œuvre de cet auteur allègrement hors norme.
Mais, hors du domaine de la fiction érotique, Cauda, situant son écriture dans une perspective pantextuelle, y invite une multitude de personnages du panthéon littéraire, historique et cinématographique, d’écrivains, de philosophes, d’acteurs, dont, en vrac et non exhaustivement : Colette, Deleuze, Swift, Mme de Maintenon, Mlle de Scudéry, Kierkegaard, Rimbaud, Michel Simon et Boudu, Lolita et Nabokov, Démocrite, Dom Juan et Molière, Barthes, Dante…
Quelle richesse !
Juliette est ici l’initiatrice, ou plutôt l’entraîneuse, qui, après les conjonctions charnelles en tout genre et en toutes positions qui marquent les commencements de leur liaison, introduit son partenaire dans ce qui est simplement nommé « le Réseau », dont la répétition des bambochades intéresse peu le personnage narrateur qui paraît pourtant naturellement fort friand d’expériences intersexuelles.
« Ces partouses m’avaient tout de suite ennuyé. A mon imagination enflammée à l’idée de s’enchevêtrer les uns les autres, la triste réalité des corps avait répondu par l’impossible. Aussi ne me reste-t-il aujourd’hui de ces moments que l’amer souvenir des gueules de bois du lendemain. Et, plus heureusement, les photographies des amies de Juliette que je prenais, l’ennui passé, une à une dans l’atelier, et qui finirent toutes en peinture ».
Photographie et peinture. C’est un des sujets « sérieux » qu’insère l’auteur, avec entre autres la description de la technique du pastel à l’huile, une présentation diététique du pâtisson, des escalopes de saumon à l’oseille, du cresson de fontaine et du Délice de Saint-Cyr, dans la trame d’une intrigue volontairement décousue, empreinte tantôt de sensuelle fantaisie tantôt de douloureuse amertume dont Juliette est l’héroïne.
« Une invention est venue à manger peu à peu le monde et sa représentation, jusqu’alors dévolue à la seule peinture : cette invention c’est la photographie. La peinture va alors disparaître dans l’indifférence générale ».
Face à quoi le peintre devra, selon Cauda, faire de la « surfiguration ». On lira avec intérêt le développement de cette thèse.
Quid de l’étrange titre de cette œuvre ?
Quelques clés, peut-être, ici et là :
– Jésus
Ma souffrance est telle que je me vois en Christ crucifié par l’alcool.
La mise en croix de ma vie d’écrivain rédimée par la figure de Jésus.
J’ai fait des études de théologie puis j’ai réalisé des films porno. La peinture a été une manière pour moi de poursuivre la théologie et le porno.
- Juliette : on en a parlé ci-dessus
– Eloïse : le lecteur découvrira pourquoi l’auteur fait référence explicite à la chanson de Barry Ryan
– kill : les interprétations sont ouvertes
Reste à illustrer par l’extrait suivant les ornementations poétiques du roman, en respectant la typographie, la disposition et l’invention lexicale voulues par le poète :
Il suffit d’un moment Elle cache
De la main & se découvre vivement Est-
Ce qu’ils veulent tout voir ? Ou juste un
Bout 1 morceau d’
Elle est aussi belle qu’étonnée
Vertigieuse a dit l’un deux un
Peu ivre
Ils sont autour d’Elle assis tous
En cercle
Patryck Froissart
Jacques Cauda, peintre, dessinateur, écrivain, cinéaste, a reçu le Prix spécial du jury Joseph Delteil en 2017 pour Ici, le temps va à pied (Editions Souffles).
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