Jean-Paul Gaultier et l’éternel retour à l’androgyne (par Mustapha Saha)
Tout l’art de Jean-Paul Gaultier se transcende dans ses audaces transgressives. Sa collection automne-hiver 2018-2019 resublime la cigarette dans ses volutes jouissives, ses vapeurs envoûtantes, ses spirales fuyantes. La cigarette nargue en beauté la damnation sanitaire et se métamorphose en joailleries merveilleuses. Les mannequins, pipes et fume-cigarettes glissés dans les doigts, jaillissent d’un écran translucide, traversé de nuées interdites. Des sillons fantomatiques prennent l’allure d’hologrammes oniriques. Se profilent dans les dominantes noires et blanches, des silhouettes androgynes, alternances d’ombres et de lumières, d’opacités brillantes et de transparences scintillantes. Le yin et le yang s’emboîtent dans la complétude. Les poitrines se dévoilent sous membranes cristallines. Les têtes s’enferment, comble d’autodérision, dans des fumoirs personnels intégrés. Le slogan « tétons libres » s’imprime sur plastique pellucide porté à même la peau. « Free the nipple » pour tous !
La liberté balaie sans coup férir les fausses pudeurs. La morale, sous ses masques étouffants et ses pull-overs bouffants, ravale ses raideurs. Jacques Esterel s’évoque en subtile gratitude. Les smokings déstructurés, tantôt robes asymétriques, tantôt toges romaines, tantôt shorts anachroniques, déploient sans complexes leurs ailes archangéliques. Vestes croisées et collants classiques se conjuguent aux tarbouches revisités. Les codes vestimentaires, les références culturelles, les repères symboliques s’amalgament, se métissent, s’hybrident. Les extravagances baroques et les excentricités révolutionnaires butinent leur miel tous azimuts, dans les passés glorieux et les devenirs mystérieux. S’immiscent des sarouals perlés de poussière diamantine. Des calligraphies serpentines s’incrustent dans sombres opalescences. Jacques Higelin chante en fond sonore : « Je suis amoureux d’une cigarette / Je l’aime bien épaisse / Roulée comme une papesse / Dans son fourreau zigzag à bord gommé ». Le mot « cigarette » ne provient-il pas étymologiquement de l’espagnol « cigarar », rouler en forme de papillote (Littré). Et voilà la cigarette qui papillote des paupières et scintille comme une paillette. La robe de mariée, en organza vert d’eau, flottante et séraphique, est un nuage de tabac en sinueuse évanescence. Jean-Paul Gaultier déroule, mine de rien, la philosophie platonicienne de l’unité de l’être dans sa plénitude et sa circularité. Les costumes sont taillés sans distinction de sexe. « L’homme est une femme comme les autres ». L’élégance n’a pas de genre. Recherche esthétique de l’indivisible état d’origine. Le rouge et le noir signent le libertarisme salutaire.
Mustapha Saha
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