Je vous construis le paradis ! par Amin Zaoui
Aujourd’hui, j’ai décidé de construire le paradis. Et pour construire le paradis, un vrai paradis, il faut avoir les ingrédients adéquats et nécessaires : humains, angéliques, diaboliques, matériels et textuels. Parce que je l’ai toujours imaginé en forme d’une vaste et riche bibliothèque, donc pour ériger le paradis, le vrai paradis, il me faut des livres, beaucoup de livres humains et divins. Les meilleurs livres de tous les siècles et de tous les Cieux. Des livres dans toutes les langues. Même ceux écrits dans les langues des oiseaux. Dans toutes les disciplines et dans toutes les indisciplines ! Et beaucoup de manuscrits ornés et calligraphiés par les plus grands maîtres du calame à l’image d’El Wassiti et Ibn Moqla.
La bibliothèque, même avec ses milliers de livres et manuscrits, sans la présence des poètes, elle n’est qu’espace mort. Mausolée abandonné. Donc j’ai décidé d’inviter les poètes pour occuper mon Éden. J’ai établi une liste des meilleurs faiseurs de mots ou de papillons. Je les ai classés par ordre de mérite c’est-à-dire par ordre de malédiction. La « malédiction poétique » est un critère littéraire déterminant dans mon choix. Et parce que le paradis est un espace de liberté, j’ai laissé la liste ouverte.
Donc, en toute liberté et démocratie, vous pouvez proposer d’autres noms de poètes tout en respectant le critère capital « La malédiction poétique » ! Et voici ma liste première :
Homer, Imroû al Kais, Omar ibn Rabia, Omar al Khayyam, al Firdawsi, Bachâr Ibn Bourd, Abou Nouas, al Halladj, al Sahrawardi, al Bastami, Ibn al Faredh, Farid al Attar, Khalil Djobrane, Tagore, Jean Sénac, Goethe, Aragon, Neruda, Darwich, Baudelaire, Alain Poe, Senghor…
Le paradis sans les musiciens et les chanteurs, selon le Ciel, n’a ni arôme ni fascination. J’ai fait appel au maître Abu al Faradj al Ispahani, auteur du fameux livre al Aghani (le livre des chants) afin qu’il vienne à mon aide dans le choix des musiciens. Et voici la première liste établie :
Ziryab, NadHem al Ghazali, Karim Mahmoud, Beethoven, Mozart, Tchaïkovski, Reinette l’Oranaise, Remitti, Fairouz, Aït Menguellet, Oum Kalthoum, Julio Iglesias, Michael Jackson, Daniel Barenboïm…
Dans un paradis, il faut aussi la présence des philosophes. Parce que le paradis est un espace pour défendre la liberté, pour exercer la liberté plutôt, les philosophes débattent des sujets à propos des dieux, des femmes et des hommes. Parmi ces illuminés j’ai distingué :
Socrate, Ibn Rushd, al Farabi, al Maârri, Ibn Sabîine, Voltaire, Althusser, Marx, Freud, Ibn al Moukaffaâ, Sartre, Faradj Fouda, Foucault, Houcine Mroua, Mehdi Amel, Jacques Derrida, Bakhti Benouda…
Pour élever le paradis, le vrai Éden, il faut des femmes, pas celles pour la consommation. Le paradis est un lieu contre le machisme ! Il n’y a pas de Houris mais des Hourrat (des libres). Dans les recoins déambulent :
Rabiaâ al Adawiyya, Wallada Bent al Moustakfi, Jeanne d’Arc, Ghada Essamman, Toni Morrison, Djamila Bouhired, Simone de Beauvoir, May Ziyadeh, Nazik al Malaîka…
La première nuit paradisiaque fut en lecture, en récitals poétiques, en débats philosophiques, jusqu’au petit matin. Le lendemain, dans un état de colère et de protestation, les poètes sont venus me voir en brandissant une banderole avec un écriteau dans une vingtaine de langues : « Cet espace est un enfer ! » Ainsi je me suis rendu compte que j’avais oublié de leur faire couler deux fleuves ; un pour le vin, l’autre pour le miel ! Mon Dieu, sans ces deux fleuves de plaisir, combien elles sont enchevêtrées les frontières entre le paradis et l’enfer !
Amin Zaoui
Souffles in "Liberté", Alger
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