Je te fais un dessin, Marc Cholodenko
Je te fais un dessin, novembre 2017, 120 pages, 13 €
Ecrivain(s): Marc Cholodenko Edition: P.O.L
Faire l’image : Marc Cholodenko
Marc Cholodenko réussit un tour de force : dessiner avec les mots. Et ce, non par figure de style, mais en évoquant ce que l’image peut donner suivant ses maçonneries et ses maçons. L’ensemble se distribue en fragments, eux-mêmes classés en « moments » ou épreuves. Ils s’achèvent sur le commencement : celui des gribouillis d’enfant. L’image anticipe alors sur les mots et sous la caresse et la pression d’une main maladroite mais qui traque en chacun de nous la bête et l’ombre.
Dans son livre précédent (Il est mort ? P.O.L), celui qui va ou allait partir était emporté par le souffle d’une seule phrase. Ici tout se crée en vignettes. Elles charrient une existence que l’auteur a l’intelligence de ne pas réduire à l’autofiction. Surgit le sourd murmure des images tenaces toujours portées à l’interprétation d’un ordre qui se transforme en une plongée étourdissante dans une série de propositions, de réminiscences, de raisonnements, d’informations intimes.
Surgissent des densités déviantes et des décalages. L’image n’est plus seulement une reproduction. Elle est saisie par exemple sur un visage et sa moue « dont la délicatesse ne cherche pas à prévenir d’éventuels débordements de l’affluence du concret mais à mesurer la dispersion de son effet ». Il n’existe donc pas que des supports et des surfaces. Celle-ci, d’ailleurs, même lorsqu’elle est vierge permet la présence d’un « souverain ultime ». Si bien que les mots disent ici ce que les images ne peuvent pas dire. D’où ce magistral coup de pied de l’âne. Celui-ci accorde au lecteur (forcément masochiste ou simplement lucide) une jouissance rare. Si bien que Cholodenko pourrait conclure comme Beckett : « Voilà, c’est fait, j’ai fait l’image ».
Jean-Paul Gavard-Perret
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