Je t’écris de Bordeaux, Giuseppe Conte (par Didier Ayres)
Je t’écris de Bordeaux, Guiseppe Conte, éd. Arfuyen, Coll. Neige, avril 2022, édition bilingue, trad. italien, Christian Travaux, 240 pages, 18,50 €
Le seuil
Écrivain italien, Guiseppe Conte s’arc-boute à la poésie comme s’il s’agissait d’une porte, d’un seuil, et devant ce caravansérail le poète jette son regard, ses mots, son corps dans la maison même du poème. Il guette à la lisière de la pensée, l’image, les rythmes, le chant. C’est une poésie de la frontière entre la beauté et l’inquiétude. Que cela soit le corps, la frontière du corps physique, ou une passe vers l’énigme du langage, l’auteur interroge tout aussi bien le souvenir que le caractère organique qui le lie à lui-même. Qu’il s’agisse de suivre avec lui la floraison d’un amandier ou encore de parcourir les effets physiques de l’âge sur sa personne, le poète révèle son secret et sa capacité à se tenir droit devant le point initial de son imagination.
Demande à un amandier en mars
à la rose hésitante du verger.
Demande à un nuage de l’aube.
Demande à un torrent qui déferle sur la grève.
Demande-le à tous les figuiers des jardins
quand les branches tordues et dépouillées
commencent à fourmiller
de bourgeons.
Demande-le à eux.
Être devant, face au poème, là où l’aède porte sa voix au monde, nous fait ressentir à nous aussi une voix intérieure, une espèce d’immatérialité des choses, un détachement entre ce qui est et ce qui est écrit, donc nous conduit vers une bifurcation, un croisement. On reste immobile devant la réalité physique de cette étroite porte où court une éternité immuable et cependant toujours ajournée. Le poète se poste devant l’enfance, la mort, la vie, le vieillissement tout aussi bien que devant un arbre, les saisons, ou le lac Michigan.
L’Esprit qui nous engendre
comme hommes et qui nous donne le chant
aime la matière et son sein
comme il l’a aimée au commencement, quand
il la pénétra avec un mouvement
tourbillonnant et rapide
jusqu’à ce que la lumière
soit.
Poésie de la frontalité, mais gardant une part d’ombre, des profondeurs soudaines, des ciels imagés. L’auteur calque, fait mimésis avec son sujet, mais en restant juste devant, presque tremblant, où son regard peut atteindre. Cette poésie est celle des choses qui commencent, où l’enveloppe spirituelle contraint l’esprit à s’intégrer dans cette demeure du dit.
Ma vie, des zones ainsi
combien tu en traverses
que de balancements, de grincements, de sauts
que d’arythmies, que de risques
de perdre de l’altitude et de tomber.
Restons donc à la berge de la lumière, dans le périmètre cultivé de la beauté, devant des paysages d’automne, moments pris entre tout et rien, effloraison ou disparition – car l’auteur est susceptible de vieillir et de s’évaporer. Ce qui compte c’est de se situer, de s’orienter, de venir avec le poète au bord de la vérité, dans une échelle de la présence.
Didier Ayres
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