Je suis très sensible, Isabelle Minière
Je suis très sensible, août 2014, 173 pages, 14,50 €
Ecrivain(s): Isabelle Minière Edition: Serge Safran éditeur
Tu es mon lion superbe et généreux
Grégoire n’est pas comme les autres. Il est un peu… bizarre. Isabelle Minière s’est glissée dans la peau de ce jeune adulte désarmant qui prend tout au premier degré et qui dit, naïvement, ce qu’il pense.
Grégoire n’a pas eu de père et il a été élevé par sa mère qui l’appelait mon minou. Il passait beaucoup de temps chez la voisine, une Allemande qui a perdu son fils et son mari. Grâce à elle il parle couramment allemand et ponctue ses phrases de « sehr gut ! », « ich liebe dich » ou « danke ».
Grégoire est un excellent dactylographe et il a tapé un long texte pour Agathe. Agathe est une jeune femme inconstante qui vit avec un homme. « Un jour il a disparu, je ne l’ai jamais revu. Plus tard Agathe m’a dit que c’était à cause de moi, plus je lui plaisais, plus son copain lui déplaisait ».
Rien n’étonne Grégoire. Il s’est laissé embrasser par Agathe dont il partage désormais la vie. Agathe est professeur de philo et elle aimerait bien que Grégoire trouve un travail en rapport avec ses capacités.
Mais Grégoire a un petit travail de bureau et il ne veut pas donner de cours d’allemand.
Agathe a la larme à l’œil quand elle apprend la mort du président mais Grégoire ne se souvient pas s’il a pleuré pour l’enterrement de sa mère.
Agathe s’entend à merveille avec Vivien, son collègue : elle discute bien avec lui. Mieux qu’avec Grégoire qui n’a d’avis sur pas grand-chose. Sauf la cuisine (il aime la bonne chère) et un film où un lion apprivoisé tue des petits enfants.
Rien ne touche Grégoire. Il n’a jamais attrapé de fou rire alors il se contente de ceux des autres. « J’ai des fous rires par procuration ». On se demande parfois si Grégoire comprend tout ou s’il ne comprend rien à ce qu’il lui arrive.
Grégoire paraît détaché du monde qui l’entoure et Isabelle Minière rend admirablement, avec ses mots précis, le caractère de son héros. Mais le lecteur sent que tout peut basculer.
Car Grégoire rêve beaucoup. Qu’il est un lion par exemple et que ses coups de patte peuvent être sanglants.
Rien ne le touche mais Agathe est inconstante. Vivien est aussi professeur de philo. Agathe est jolie et Vivien n’est pas aveugle. Grégoire les observe et donne l’impression de ne rien voir. Mais Grégoire est un lion. Même apprivoisé, c’est un animal imprévisible… Et un soir Agathe découche…
Isabelle Minière tisse sa toile autour du lecteur avec des mots simples et des phrases courtes. Elle met en scène peu de personnages mais ils sont bien campés.
A-t-elle suivi le conseil d’Alfred Hitchcock qui prétendait que le spectateur devait deviner la suite de l’histoire juste avant ses personnages ? Contrairement à Grégoire qui semble spectateur de sa propre vie, le lecteur pressent ce qui va se passer.
Et il a hâte de connaître la suite pour savoir s’il a vu juste. C’est toujours bon signe !
Isabelle nous fait penser à un cycle de Lieder de Schubert : la belle Minière !
Fabrice del Dingo
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