Je suis ici pour vaincre la nuit. Yo Laur (1879-1944), Marie Charrel
Je suis ici pour vaincre la nuit. Yo Laur (1879-1944), Marie Charrel, Fleuve éditions, août 2017, 348 pages, 19,90 €
Ecrivain(s): Marie Charrel
L’auteur veut connaître mieux cette arrière-grand-tante, artiste mystérieuse ayant navigué entre Paris, Alger et Ravensbrück. Il reste d’elle quelques tableaux et quelques rares témoins qui l’ont connue. « C’était une artiste merveilleuse et une aventurière. Elle a vécu mille vies en une et visité tous les mondes. Elle a traversé l’enfer. Elle s’appelait Yo Laur ». A travers cette quête, l’auteur chemine aussi dans un voyage intérieur vers sa propre histoire. « J’ai étudié le visage de mon demi-frère et j’ai compris que nous ne tenions pas nos yeux du même homme. Du verre s’est brisé en moi ».
Le livre alterne entre un journal fictif de Yo Laur et les avancées de l’auteur pour retrouver toutes les traces possibles de cette femme artiste si singulière. « Pendant des mois, je n’ai pensé qu’à l’Algérie. Je me suis gorgé d’ouvrages savants (…). Yo Laur, femme seule, époux au front, a-t-elle osé franchir les frontières ? S’est-elle mêlée aux indigènes ? ». Il y a la volonté de sortir cette femme de l’ombre. Le lecteur croise aussi ces chevaliers du ciel, amoureux des vols libres et qui ont combattu pendant la première puis la seconde guerre.
« L’autre jour j’ai assisté à la réunion d’une association de gueules cassées (…) J’ai regardé ces combattants aux corps disloqués et aux âmes ravagées. Je les ai écoutés jusqu’au bout en songeant au maigre public qui m’entourait. André aurait pu être parmi eux ? Qu’avons-nous fait à ces hommes ? ».
Et puis il y a toutes ces interrogations de Yo Laur sur sa peinture et l’art en général. Ainsi lorsqu’elle est à Alger et au début de sa pratique artistique toute son âme est tendue vers l’essence de la lumière. « En vérité la lumière n’est pas un mouvement, c’est autre chose : une énergie. Une force traversant les objets et modifiant leur substance même, comme le fait l’électricité (…) Elle domine les couleurs en maîtresse sauvage, elle met de l’ordre dans le chaos, elle sème le chaos dans le désert. C’est une vibration, une musique, et tout cela se lit sur le visage des femmes ».
Enfin il y a cette fin de vie en camp de concentration. « C’est bien ont dit les filles lorsqu’elles ont vu le résultat. On va cacher tout ça pour le faire sortir. Pour témoigner. Pour que tout le monde sache ce qui se passe entre ses murs. Un bon dessin vaut mieux qu’un long discours ». Ce livre fait se croiser plusieurs vies et de multiples quêtes. Il est à l’image de l’homme assoiffé de sens d’où qu’il vienne quoi qu’il fasse… « En 1941, au moment où Yo Laur et Conrad tentent de se rendre utiles en aidant Esther, mon père de sang fête ses huit ans. Le village des Vosges où il habite est en zone occupée. Il sera en partie détruit par les allemands ».
Zoé Tisset
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