Je suis Camille, Jean-Loup Felicioli (par Yasmina Mahdi)
Je suis Camille, Jean-Loup Felicioli, octobre 2019, 80 pages, 19,90 €
Edition: Syros
Différent(e)
Jean-Loup Felicioli signe un album-jeunesse cartonné, luxueux, où la couverture et les doubles-pages renvoient à la saison automnale. C’est donc la rentrée pour une petite-fille de dix ans, Camille, aussi bien dans une nouvelle école que dans un nouveau pays. Les illustrations sont splendides, formant de véritables tableaux, dans lesquels les détails, les couleurs, sont apposés de façon complexe. Les yeux, les expressions des visages sont traités un peu à la manière des codes visuels des mangas, simplifiés comme sur certains logiciels de composition graphique.
La question du « genre » occupe le récit dès le début. La plupart des enfants du monde contemporain ont intégré au quotidien les outils de communication, la mode, une certaine forme de liberté d’expression, ont établi une relation de confiance avec leurs parents. Ce qui est le cas pour Camille, l’héroïne, qui vient d’un milieu plutôt nanti économiquement, intellectuellement évolué, et occidental. A fortiori, l’école se doit d’accueillir sans discrimination les enfants de toute couleur et de toute condition dans des classes mixtes.
Le collège forme une micro-société dans laquelle se gèrent les rapports affectifs avec les professeurs, les formateurs et le jeune public, ainsi que les rapports de force et d’inimitié. L’institution scolaire est le reflet de la communauté dominante, et les élèves y ressentent leurs premiers émois et y bâtissent (ou non) une relation au monde.
Pas facile de se faire une place pour Camille, qui porte un lourd secret. Comme nous l’apprenons régulièrement, les collégiens peuvent se montrer intolérants, voire menaçants. Dans l’album de Jean-Loup Felicioli, le contexte est plutôt agréable, même si l’esprit de grégarité propre à la jeunesse règne majoritairement. Ainsi, le plus délicat s’avère être la catégorie du genre sexuel, l’appartenance à d’autres normes que celles de l’hétérosexualité. La différence de Camille est le sujet difficile et émouvant de ce beau livre illustré. S’assumer, se démarquer du groupe n’est pas neutre, et de plus, exige une confession ! L’appartenance sexuelle relève tout autant de « la nature » que de la culture, mais rien n’est acquis d’emblée…
Les complémentaires rouges et vertes se teintent de toutes les nuances possibles : feu, rouille, rose tyrien, carmin ou émeraude, jade, olive et vert Véronèse. Les bleus, les violines forment une chromatique éblouissante dans l’or des feuillages, augmentant la qualité des paysages.
C’est durant la fête d’Halloween que va éclater la vérité – la phase récréative va dévoiler une autre, plus obscure, l’aspect caché de Camille. La jalousie de Zoé, sa bonne amie, va déclencher ce que Camille redoute le plus – son état de « garçon-fille ». Les images vont suivre les craintes de la jeune protagoniste, par des diagonales et des demi-cercles bousculant la perspective plane des jours « normaux » – selon les états fluctuant entre crainte, retranchement et abandon de la nouvelle collégienne/collégien. Cet album-jeunesse, au thème peu traité, celui de l’identité de genre chez les enfants, est important afin de décloisonner les déterminismes, les mentalités figées et les stéréotypes. D’autre part, le chagrin, l’ostracisme et la mort sont abordés sans hypocrisie, la double identité sexuelle bien argumentée, et l’aventure de Camille est accessible dès l’âge de huit ans.
Yasmina Mahdi
Jean-Loup Felicioli, né en 1960 à Albertville, est diplômé des Beaux-arts d’Annecy, Strasbourg, Perpignan, Valence. Il est réalisateur de cinéma d’animation au studio Folimage depuis 1987.
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