Je ne vois pas l’oiseau, Jean-Pierre Chambon (par Didier Ayres)
Je ne vois pas l’oiseau, Jean-Pierre Chambon, éditions Al Manar, ill. Carmelo Zagari, juin 2022, 64 pages, 16 €
Oiseaux mortels et immortels
Ce recueil de 5 textes de prose de Jean-Pierre Chambon, prend pour sujet les oiseaux. Mais, là, pas de bons sentiments ni autres sucreries mais des tétrapodes de sang, oiseaux qui s’articulent sur la relation humaine, qui enseignent en un sens sur l’homme, sur les sentiments humains, le bien et le mal. Ces oiseaux sont ensemble abstraits et concrets, mortels et immortels. L’on est plus au théâtre que dans la nature, car ces bipèdes manifestent symboliquement leur rapport à l’être humain, sachant que celui-ci s’explique à lui-même en conversant avec le monde du gibier à plume.
Apercevoir l’un de ces coqs extraordinaires me procurait chaque fois un frisson de bonheur, c’était comme entrebâiller une porte mystérieuse. Car la vie profuse que recelaient les bois et les prairies, les landes et les marais, s’avérait correspondre à un autre pan du monde, appartenir à une existence parallèle : elle témoignait de la présence d’un royaume séparé pour lequel – je l’avais senti dès l’enfance avec une pointe d’impénétrable nostalgie – nul être humain ne posséderait jamais la clé.
Peut-être faudrait-il souligner que ces vertébrés, tels qu’on les connaît dans l’hagiographie de François d’Assise, ont une relation avec le monde spirituel, et sont davantage des sujets symboliques que d’autres bêtes. Et comme il s’agit de domestiquer le mystère des oiseaux, il ne faut pas hésiter à qualifier aussi leur cruauté, ou plutôt la cruauté humaine.
L’oiseau montre et pointe l’accent là où l’humain se montre cruel, ou sinon, désigne la crudité du trouble intérieur à toute existence terrestre. Le bien ne peut se passer du mal. Ces occurrences sont l’avers et le revers de toute créature, aussi bien dans le caractère objectif que subjectif. L’animal, dont Plutarque fait un tel éloge, représente ici plus l’homme que l’animal lui-même aux yeux des lecteurs. L’on voit l’espèce humaine aux prises avec elle-même. Et cela avec autant de matérialité que d’abstraction.
La kobleute, sorte de Simorgh, le perroquet que l’on connaît du Cœur simple de Flaubert, le corbeau, noire présence de celui qui ne revient pas consoler Noé, l’assemblée des tourterelles sur le parvis de Sainte-Sophie en Turquie, le hibou… sont plus des signes explicatifs auxquels se livre le poète que des documents de publicité pour le voyage, et donc deviennent un vrai travail pour l’intellection du liseur – car l’on sent nettement que Jean-Pierre Chambon s’étudie dans l’appropriation de ces volatiles.
Même si le temps en a passablement atténué l’éclat et déformé les contours, une image surnage encore assez nettement dans ma mémoire : celle d’un élégant passereau paré d’un gilet tissé d’or sur lequel ses ailes repliées paraissent plus noires que l’encre de charbon. Ce volatile enchanteur ornait l’étiquette d’une bouteille de sirop de menthe, sous le nom qu’on aurait dit qu’il avait lui-même calligraphié de la pointe de son bec : loriot.
La dernière leçon que j’ai reçue de ce recueil de prose poétique, consiste en une lucidité sur l’ouvrage du créateur, de celui qui incite le Saint à évangéliser les oiseaux, tout autant que celui qui renseigne la présence de l’auteur lequel, avec simplicité et raffinement, dresse le portrait d’animaux auxquels nous sommes tous sensibles (rappelons-nous le travail d’Olivier Messiaen sur les oiseaux de tous les continents). Avant de refermer cette chronique, il faut évoquer les encres de Carmelo Zagari pour leur fine interprétation de ces petits contes, qui m’ont fait penser à Raoul Duffy illustrant le Bestiaire d’Apollinaire. Donc, l’ouvrage est à prendre pour son caractère plastique et intellectuel, ce qui fait une double sensation de lecteur.
Didier Ayres
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